Les joueurs autonomes dans la LNH : dysfonction du marché
22 juillet 2013
Le 5 juillet dernier s’ouvrait le marché des joueurs autonomes dans la Ligue nationale de hockey (LNH). À cette occasion, un déluge de signatures de contrat a déferlé sur la Ligue. En incluant les quelques jours qui ont précédé l’ouverture officielle du marché, 617,6 millions $ furent consentis à des joueurs autonomes (ou sur le point de l’être) entre le 2 et le 16 juillet, dont 398,8 millions $ pour la seule journée du 5 juillet. À ce montant astronomique, il faut ajouter les centaines de millions qui seront dépensés dans les prochaines années pour de coûteux rachats de contrats dont bénéficient certains joueurs surévalués (un exemple connu ici). L’ampleur des sommes engagées donne le tournis, mais révèle par la même occasion quelques dysfonctions du libre-marché qui méritent d’être soulevées.
La répartition des ressources
En théorie, le libre-marché est le système de répartition des ressources le plus efficace. Pas besoin de représentation globale du monde, d’évaluation générale des besoins et des ressources ou encore de plan complexe visant à donner à chacun sa juste part. Le marché, qui permet la rencontre d’agents économiques supposés libres et rationnels, permettrait alors à chacun de vendre et d’acheter selon ses besoins, ses désirs et ses moyens. Ce système est réputé plus efficace parce que, en théorie toujours, les agents directement impliqués dans une transaction seraient plus à même d’évaluer le bien-fondé d’un choix économique qu’une tierce instance (l’État par exemple).
Le laissez-faire et l’instabilité
L’exemple du sport professionnel en général et celui de la LNH en particulier nous portent toutefois à douter de la validité empirique de cette théorie. Petit aide-mémoire. L’incapacité des propriétaires à garder sous contrôle leur masse salariale a plongé la Ligue dans des conflits de travail lors des trois dernières négociations collectives avec les joueurs (1994-1995, 2004-2005 et 2012-2013).
Dans un microsystème économique comme celui de la LNH (30 équipes, quelques centaines de joueurs), l’équilibre spontané du marché est une lubie et ce n’est pas nouveau. La recherche de l’intérêt privé par chacun des agents concernés (propriétaires et joueurs) ne mène pas à un équilibre général et efficace, mais plutôt à un chaos dans lequel l’intérêt du plus fort domine. Les équipes riches accordent de gros contrats à des joueurs dont le calibre n’est souvent que moyen, ce qui pousse les équipes moins nanties à faire de même au péril de leur solvabilité (David Clarkson et Ryane Clowe, par exemple).
De leur côté, les joueurs profitent année après année de la relative rareté des patineurs disponibles pour faire sauter la banque et obtenir de lucratifs contrats souvent bien au-delà de leur valeur de marché (nul besoin de préciser ici que nous ne traitons évidemment pas de ce que pourrait bien être la valeur réelle de leur travail).
Le laissez-faire dans la LNH est donc synonyme de dysfonction. Le système économique de la Ligue n’est pas fondé sur l’entente raisonnée d’agents rationnels, mais plutôt sur la surenchère perpétuelle. À ce jeu, seuls des conflits de travail récurrents permettent à la Ligue de survivre.
La nécessaire planification
Or, a contrario de ce qu’affirme la théorie économique dominante, seuls les moments de négociations collectives, soit les moments où l’ensemble des agents économiques impliqués sont forcés de coordonner leurs intérêts, rendent possibles l’atteinte d’un modèle d’affaires peut-être pas efficace, mais à tout le moins viable.
L’exemple de la LNH est intéressant sur plusieurs points lorsqu’il est question de chercher à valider la théorie économique dominante. Il nous montre que les agents économiques, quoiqu’on en dise, ne sont pas des agents rationnels (comme on peut le voir ici et ici), que la somme de leurs actions ne débouche pas sur l’atteinte d’un grand niveau d’efficacité et que le laissez-faire demeure incapable d’opérer une répartition optimale des ressources.
Ce que la théorie économique dominante échappe, c’est que les individus impliqués dans les relations de marché trichent, maquillent les faits, se trompent ou s’aveuglent volontairement. Tout cela résulte en une instabilité générale que seules les trop rares occasions de gestion et de planification collectives peuvent contrebalancer.