Le mirage réducteur de l’objectivité en économie
25 mai 2016
Cette semaine, Francis Vailles publiait un article qui reprenait —pour ne pas dire louangeait aveuglément— les conclusions de Luc Godbout en ce qui concerne la fiscalité des particuliers au Québec. Selon le professeur d’université, le Québec dépendrait plus que les autres nations de la fiscalité des particuliers pour se financer. Le journaliste conclut son article avec une phrase qui nous interpelle particulièrement : « Bref, le prochain qui militera pour une hausse des impôts sur le revenu des particuliers au Québec est attendu de pied ferme… ». Je répondrai simplement : « Bref, c’est pour que le débat demeure scientifique que je me permets ce billet. » En effet, en tant chercheur, je me dois d’être plus nuancé à l’égard des travaux de M. Godbout.
Un chercheur neutre, ça n’existe pas
M. Vailles situe comme suit les positions du héros de son article : « Celui qui porte ce message [que l’État québécois dépend davantage que d’autres de l’impôt des particuliers] n’est ni un économiste de droite ni un libertarien. Le pragmatique Luc Godbout, professeur à l’Université de Sherbrooke, est reconnu pour être plutôt au centre. » Un professeur d’université, de centre et pragmatique en plus : qui pourrait être contre?
Permettez-moi de remettre en question ce positionnement au centre de l’échiquier politique. M. Godbout est co-signataire (avec Robert Gagné et Pierre Fortin) des trois fascicules Le Québec face à ses défis, base théorique de la révolution tarifaire menée par le ministre Raymond Bachand. Notons qu’elle nourrit encore les travaux de M. Godbout. De plus, il a été nommé par le gouvernement libéral actuel pour établir la forme que devrait prendre une réforme fiscale dans un contexte d’austérité, ce qui a mené au rapport Godbout. Il est donc associé à des mesures définitivement plus de droite que centristes.
Par ailleurs, les travaux de M. Godbout ne dévoilent pas tous les présupposés sur lesquels reposent ses analyses. Par exemple, le rapport Godbout sur la fiscalité affirme que l’impôt sur le revenu est plus dommageable qu’une autre forme d’impôt. Il se base sur un modèle dont les hypothèses ne sont pas explicitées. Nous avons demandé directement au ministre Leitão, et ce à plusieurs reprises, d’y avoir accès. On nous a répondu que nous les aurions éventuellement. Plus d’une année s’est écoulée, et nous attendons toujours.Le Rapport Godbout propose de baisser les impôts sur le revenu des particuliers afin d’augmenter les taxes. Le modèle sur lequel repose une part importante de la justification demeure fort abstrait tant que nous ne connaissons pas les ingrédients (hypothèses) qui le composent.
Soyons très clair : ces critiques ne visent pas directement M. Godbout, mais la prétention à l’objectivité que certaines personnes, dont M. Vailles, tendent à lui attribuer.
Un poids, deux mesures
Une autre nuance qui échappe à M. Vailles : on ne peut se limiter à une seule mesure pour qualifier des phénomènes politiques et économiques. À titre d’exemple, il existe plusieurs façons de mesurer le poids de la fiscalité. Nous en aborderons deux.
L’article de M. Vailles ne présente que le poids de la fiscalité par rapport au produit intérieur brut (PIB), une mesure qu’on retrouve souvent dans les travaux de M. Godbout. Elle pose toutefois un problème que nous exposons plus en détail dans cette étude.
Pour résumer brièvement, en analysant en terme de PIB, il est impossible de distinguer si c’est le PIB qui est trop bas ou encore si ce sont les taxes et impôts qui sont trop élevés. Imaginons deux pays possédant exactement les mêmes paliers d’imposition et taux de taxation dont l’un est en crise économique, et l’autre, en boom économique. Le poids de la fiscalité par rapport au PIB sera plus lourd dans le premier que le deuxième. Pourtant, les deux ont la même structure fiscale!
C’est pourquoi M. Godbout effectue également une comparaison de la composition des sources fiscales des revenus gouvernementaux dans ses études, mais M. Vailles omet complètement de le souligner. Pourtant, elle change considérablement les conclusions d’une certaine droite économique.
Le Québec va chercher 36 % de ses recettes fiscales par le biais de l’impôt sur le revenu des particuliers. Nous ne sommes pas très loin de la moyenne de l’OCDE : 32 %. Là où le Québec s’en éloigne considérablement, c’est sur le plan des cotisations de sécurité sociale, soit 15 % pour le Québec contre 26 % pour la moyenne de l’OCDE. Présentement, au Québec, plutôt que de tenter de se rapprocher de la moyenne en augmentant les cotisations, on cherche à les réduire davantage.
Pourquoi ne pas augmenter ces cotisations plutôt que les taxes? La réponse à cette question est politique et non économique. Rappelons que nous avons démontré à plusieurs reprises que la hausse des taxes à la consommation et des taxes d’accises touche plus durement les gens les plus pauvres. Ce qui nous amène à notre dernier point.
Une vision réductrice de la fiscalité et de l’économie
En janvier 2014, l’IRIS avait exposé les désavantages pour les salarié·e·s du système fiscal actuel. Nous sommes donc en accord avec le ménage que propose le rapport Godbout : le système sera plus juste et pourra dégager de nouveaux revenus. Toutefois, contrairement aux commissaires et à M. Vailles, nous ne voulons pas les utiliser pour baisser les impôts et, étrangement, augmenter les taxes.
Les politiques fiscales n’ont pas que des répercussions économiques. En limiter l’analyse à cette lorgnette évacue les principaux enjeux sociaux de cette ère : l’accroissement des inégalités et les enjeux climatiques. Les politiques fiscales ne sont donc vues que par le prisme de l’idéologie économique du dernier siècle : la croissance économique à tout crin. Ainsi, contrairement à M. Vailles, nous ne croyons pas qu’une réforme de la fiscalité qui plie l’échine devant autant de dictats économiques classiques soit viable.
J’attendrai votre pied ferme, puisque si une augmentation de l’impôt des particuliers vise une économie plus égalitaire et verte, j’y serai.