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J’aurais voulu être comptable

14 avril 2017

  • Eve-Lyne Couturier

Quelle est votre saison préférée? L’été et ses chauds rayons? L’hiver et sa neige moelleuse? Le printemps où tout se réveille telle une promesse? L’automne multicolore? Peu importe votre réponse, ce ne sera sûrement pas la saison des impôts. Je vous le dis sincèrement, j’aime les impôts à l’année sauf en avril.

Comme nombre de personnes, je me retrouve à crouler sous les papiers, les factures, les reçus, à chercher à quel crédit on a droit, à me creuser la tête pour voir si je n’aurais pas oublié le détail qui pourrait me coûter des centaines voire des milliers de dollars. Il pourrait pourtant y avoir une solution. Et si on nationalisait… les impôts?

Cette période qui fait frémir tant de personnes au Canada et aux États-Unis n’existe pas dans plusieurs pays occidentaux. Le fardeau y est inversé. Plutôt que de demander aux individus de déclarer ce que le gouvernement connaît déjà (puis de réprimander ceux et celles qui se trompent accidentellement ou frauduleusement), c’est l’État lui-même qui envoie aux citoyen·ne·s le détail de ce qu’il sait.

En effet, le gouvernement (ici comme ailleurs) reçoit déjà beaucoup d’informations sur nos revenus et nos dépenses. Il connaît le détail d’une bonne partie de nos salaires, de nos honoraires, de nos cotisations, etc. Il a en main la valeur de notre maison, la somme dépensée en frais de garderie, les frais de taxes déjà déclarés, etc. Il est donc bien placé pour indiquer les programmes auxquels nous avons droit, les crédits d’impôt qui s’appliquent et estimer ce qui reste à payer ou à encaisser.

Bien entendu, l’État ne sait pas tout. Il y a donc ensuite la possibilité de compléter l’information, de contester certains chiffres. Cependant, pour la majorité, on parle d’un processus simplifié qui permet plus facilement d’obtenir les prestations auxquelles on a droit (sans toujours le savoir).

Au Québec, par exemple, des centaines de milliers d’aîné·e·s ne reçoivent pas le supplément de revenu garanti (SRG) auquel ils ont droit, ne sachant pas qu’ils y sont admissibles. La situation peut être critique pour certaines personnes, le SRG étant un programme conçu spécifiquement pour les personnes âgées ayant de très faibles revenus. Bonne nouvelle toutefois : l’adhésion au programme devrait devenir automatique dès 2018. Si cette histoire a une fin heureuse, d’autres histoires fiscales se terminent autrement.

Le fédéral a ainsi aboli le crédit d’impôt pour transport en commun dans son dernier budget parce que trop peu de personnes ne l’utilisaient. En effet, plusieurs personnes admissibles n’en faisaient pas la réclamation par manque d’information ou tout simplement parce qu’elles n’avaient plus en main les reçus nécessaires. On s’imagine que ces deux programmes ne sont pas uniques et que plusieurs ménages bénéficieraient d’un système simplifié. Ajoutons à cela l’argent non récupéré par l’impôt à cause des délais de production causés par la complexité des déclarations de revenus. En plus de diminuer les revenus de l’État, cela peut finir par coûter très chers aux individus fautifs.

Alors, si ailleurs, c’est mieux, et qu’ici on perd du temps et de l’argent à courir après de l’information qu’on a déjà… Pourquoi est-ce qu’on ne change pas le système? Pour comprendre les dynamiques à l’œuvre, on peut jeter un coup d’œil à ce qui se passe chez nos voisins du sud.

Aux États-Unis, comme au Canada et au Québec, la déclaration de revenu est la responsabilité des individus (avec le même lot de problèmes qu’évoqués précédemment). Des tentatives ont été menées pour changer la manière de faire, avec un succès éclatant. Dans l’un des projets pilotes, 99 % des personnes sondées disent avoir été satisfaites de leur expérience fiscale après avoir utilisé un rapport prérempli. Pourtant, rien n’a changé. Pourquoi? Soulignons quelques raisons…

D’abord, il y a la question de l’argent. La complexité fiscale (et le sentiment d’exaspération qui l’accompagne) amène plusieurs à se tourner vers des solutions privées, que ce soit un logiciel comptable ou des firmes de comptabilité. La simplification (et le sentiment de légèreté qui l’accompagne) mettrait fin à ce marché lucratif.

Bien entendu, les lobbys qui rassemblent le complexe fiscalo-industriel trouvent des arguments plus rationnels pour inciter la classe politique à se tenir loin de la solution facile. En plus de défendre le sacro-saint droit de faire du profit, ils mettent en garde contre le contrôle accru de l’État que permettrait le rapport prérempli. C’est un argument qui trouve écho auprès des élus conservateurs qui craignent que le gouvernement n’en profite pour surcharger ou pour ajouter de nouvelles taxes sans qu’on s’en rende compte.

Finalement, derrière tout ça, il y a un certain désir machiavélique à conserver la frustration fiscale afin à la fois de mousser l’identité « contribuable » et de l’amener à vouloir la réduction des dépenses et des structures publiques. Grâce à notre système compliqué et désagréable, la relation des citoyen·ne·s avec le gouvernement ne peut qu’être trouble. Même quand on reconnaît la valeur des services publics et de la solidarité sociale, il est difficile de ne pas avoir un petit pincement au cœur quand vient le temps de remplir sa déclaration de revenus.

Les militant·e·s pour la réduction de la taille de l’État le savent et profitent de ce ressentiment. Ce n’est pas pour rien que l’Institut Fraser célèbre chaque année la journée de la libération fiscale, soit quand notre salaire devient plus important que la somme des taxes et impôts à payer durant l’année. Notre système permet en effet de mettre plus aisément en valeur ce qu’on paie que ce qu’on reçoit. Si on enlève la frustration fiscale de l’équation, il deviendrait plus difficile de brosser un portrait négatif.

Alors voilà. Nationalisons les déclarations de revenus. Continuons de contribuer à la hauteur de nos revenus, mais dans le bonheur, l’allégresse et la simplicité. Laissons-nous le pouvoir de contester, mais donnons-nous la chance de nous libérer de la frustration. Au final, tout le monde gagnera, sauf peut-être les comptables. Tant qu’ils et elles se reconvertissent en artistes plutôt qu’en politiciennes et politiciens, tout devrait bien aller.

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