Parlons grève
15 septembre 2016
Quand on entend parler de grève, il n’est pas rare que les dents se mettent à grincer. Alors que les étudiant·e·s ont été relégués au « boycott », pour les autres, on n’hésite pas à parler carrément de « prise d’otage ». Alors que les employé·e·s de l’hôtellerie étaient en grève hier à Montréal et à Québec, j’ai envie de revenir un peu sur ce qu’est, pour vrai, une grève, et les vraies victimes de sa mise en œuvre.
Alors qu’un boycott est un geste individuel, la grève est une décision collective. Lorsqu’on choisit de faire grève, c’est un rapport de force qu’on cherche à mettre en place. On n’est pas en train de dire « moi, de ma position personnelle et individuelle, je suis insatisfaite », mais bien « ma job, pour moi, mes collègues et mes futurs collègues pourraient être mieux structurée ». La première étape est bien sûr de négocier, mais, devant la fermeture de la partie patronale, on cherche comment mettre de la pression pour faire avancer les choses. Pas pour soi. Pour tout le monde.
En arrêtant de faire le travail demandé, ce qu’on essaie de montrer, c’est à quel point ce travail est essentiel à la bonne marche de l’entreprise ou du service. Alors que les PDG gagnent des millions et qu’on louange leur bon sens des affaires, que sont-ils sans les personnes qui font les tâches ingrates au bas de l’échelle? L’hôtel a peut-être été designé par un architecte de renom, personne ne voudra y séjourner si les chambres ne sont pas propres ou si l’accueil est impoli. Malheureusement, on conçoit trop souvent les personnes qui exécutent ces tâches comme remplaçables puisque souvent non ou peu qualifiées, mais surtout peu valorisées. Il en va de même tant dans les commerces de détails que les hôpitaux. On préférera donner des augmentations faramineuses aux médecins plutôt que d’assurer de bonnes conditions de travail aux préposé·e·s ou aux infirmières.
Les grèves cherchent à faire des gains et à défendre des acquis. On entend souvent parler des clauses salariales, mais il n’y pas que ça. Les vacances, les congés de maladie, les régimes de retraite et même les horaires de travail peuvent être en cause. Dans le cas des salaires, on cherche à rattraper son pouvoir d’achat grugé par l’inflation, à combler l’écart avec des secteurs ou entreprises similaires ou à améliorer la distribution des profits. Fut un temps où les patrons gagnaient 25 fois le salaire moyen de leurs employé·e·s. Aujourd’hui, on parle de plus de 200 fois. Est-ce que cet écart peut réellement s’expliquer par la prise de risque ou la compétence? Et qu’en est-il de la prise de risque d’une famille où les parents doivent choisir entre cumuler plus d’un emploi par personne, avoir un revenu décent, mais ne pas être très présent à la maison, ou avoir un salaire réduit, avoir de la misère à boucler son budget, mais pouvoir prendre une part active dans l’éducation de ses enfants? Les autres clauses, non-salariales, aident souvent à rendre le partage du temps entre le travail et la maison plus facile à gérer.
Avoir accès à des congés de maladie, ce n’est pas un luxe. En plus de préserver son milieu de travail de virus contagieux, il permet de se rétablir plus vite et mieux, et donc d’être dans une condition optimale pour réaliser ses tâches. Quant aux vacances annuelles, elles sont une bonne manière de décrocher de la pression de son emploi, d’entretenir sa santé mentale et, aussi, d’être un employé plus productif.
Les contrats de travail servent également à bien définir les règles pour encadrer les salaires et les conditions d’emplois. Par exemple, c’est grâce à la pression des employé·e·s et des syndicats que l’équité salariale est devenue un enjeu incontournable. La question de l’ancienneté, des échelons salariaux et des descriptions de tâches méritent aussi d’être bien balisés puisqu’il n’est pas rare que les employeurs profitent du flou pour rémunérer à la baisse les personnes qui travaillent pour eux.
Bien entendu, dans un monde idéal, un employeur aurait à cœur la santé de ses employé·e·s, verrait d’un œil positif la conciliation travail-famille-vie (et pas seulement pour les mères) et ne mesurerait pas le succès de sa compagnie ou service par son propre salaire, les bonis aux cadres ou gestionnaires ou encore un taux de profit réalisé sur le dos de personnes gardées précaires par ses décisions. En attendant, il y aura encore des grèves pour faire valoir ses revendications, entre autres parce que les patrons se retrouvent bien plus souvent dans les bureaux des ministres à discuter d’orientations politiques, tout sourire et complicité, que les syndicats ou les personnes précaires.