Syndicalisme | Les syndicats font-ils perdre des emplois?
18 Décembre 2025
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Durant la dernière année, le gouvernement de François Legault a multiplié les mesures contraignantes à l’encontre du syndicalisme au Québec. La proximité de la Coalition Avenir Québec (CAQ) avec le monde des affaires peut expliquer son biais défavorable aux organisations qui défendent l’intérêt des travailleurs et des travailleuses. Il n’en demeure pas moins que plusieurs des politiques antisyndicales – et antidémocratiques – mises de l’avant par le gouvernement sont fondées sur une analyse erronée du rôle des syndicats dans la société québécoise et des conséquences de leur présence. Dans cette série d’articles, l’IRIS déboulonne les mythes sur le syndicalisme et met en relief la grande diversité des enjeux liés à l’action de ces regroupements de salarié·e·s.
Si nous acceptons le raisonnement des critiques du syndicalisme, nous devrions trouver, en raison des « rigidités » qu’impose au marché du travail le modèle syndical québécois, une tendance lourde indiquant qu’il se crée moins d’emplois au Québec que dans le reste du Canada. Pour analyser cette question, j’ai choisi de consulter et comparer les données sur le taux d’emploi, plutôt que sur le taux de chômage comme bien des gens le font, car on peut être en chômage sans avoir perdu d’emploi (par exemple, un jeune qui cherche son premier emploi) et perdre un emploi sans devenir en chômage (en prenant sa retraite, par exemple).
J’ai donc examiné, comme on peut le voir sur le tableau qui suit, le taux d’emploi des personnes âgées de 15 à 64 ans, pour éviter des comparaisons entre des territoires où la population n’a pas vieilli au même rythme. En effet, si la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus sur la population de 15 ans et plus était en 2003 semblable au Québec, en Ontario et au Canada (un peu moins de 15 % dans les trois cas), elle variait beaucoup en 2024, passant de 21,3 % en Ontario, à 22,2 % au Canada et à 24,6 % au Québec.
On constate, notamment en regardant les deux dernières colonnes du tableau qui montrent l’écart du taux d’emploi entre le Québec et le Canada et l’Ontario, que sur une période de 21 ans (2003-2024), le Québec est passé d’une situation moins bonne que dans ces deux territoires (de -2,3 points avec le Canada et de -3,6 points avec l’Ontario en 2003) à une meilleure situation à partir de 2010 avec l’Ontario et de 2015 avec le Canada, pour terminer la période avec un avantage de 2,6 points sur le Canada et de 4,1 points sur l’Ontario. Ne perdons pas de vue que ce rattrapage a eu lieu après la création des services de garde à tarification réduite (qui survient en 1997) et ne peut donc pas être attribué uniquement aux femmes. En effet, j’ai aussi fait ces tableaux avec les populations masculine et féminine et les tendances étaient très similaires.
J’ai en outre remarqué que le taux d’emploi du Québec a bien moins diminué durant les récessions (baisse de 0,9 point en 2009, par rapport à des baisses de 1,9 et de 2,4 points au Canada et en Ontario, puis baisse de 3,3 points en 2020, comparativement à des baisses de 3,8 et de 4,0 points). En plus, ce rattrapage s’est fait alors que le taux de syndicalisation a été au cours de cette période plus élevé au Québec que dans le reste du Canada avec un écart qui a varié d’entre 8 et 10 points de pourcentage et d’entre 10,9 et 13,4 points avec celui de l’Ontario.
Dès lors, il semble bien qu’un des effets les plus flagrants du fort taux de syndicalisation québécois soit de mieux préserver les emplois en période de crise. Comme le signalait un rapport de recherche de l’Institut Broadbent en 2013, l’évolution des pertes d’emplois dans le secteur manufacturier au Québec et en Ontario démontre cet avantage. Bien que les deux provinces aient traversé la même crise, c’est le Québec qui s’en est le mieux tiré, en dépit – ou peut-être même à cause – de son taux de syndicalisation plus élevé :
« Le taux de syndicalisation du secteur manufacturier du Québec était de 37,4 % en 2010, près du double de celui de l’Ontario, qui était de 19,8 %. Par ailleurs, depuis 2000, le taux du Québec a diminué d’environ 30 % (de 41,7 % en 2000 à 29,4 % en 2024), tandis que celui de l’Ontario a diminué de 45,0 % (de 30,8 % en 2000 à 16,9 % en 2024). Pourtant, durant la même période, l’Ontario a perdu 241 800 emplois manufacturiers (une diminution de 22,6 %), tandis que le Québec en a perdu 127 500 (une diminution de 20,3 %). La valeur élevée du dollar canadien, le mouvement de délocalisation de la production vers les pays à bas salaires comme la Chine et la crise économique mondiale expliquent la baisse du secteur manufacturier, et le taux de syndicalisation a eu très peu d’influence. »
Et cette influence fut plus positive que négative! En clair, on ne peut pas sur la base des données des deux dernières décennies conclure que la syndicalisation est un facteur de destruction d’emplois.
Photo: Office national du film du Canada, photothèque, Bibliothèque et Archives Canada