Bar ouvert pour les agences de placement dans l’aide à domicile
16 octobre 2024
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En avril 2023, le gouvernement adoptait une loi visant à réduire dans un premier temps, et à éliminer complètement d’ici 2026, le recours aux agences privées de placement de personnel au sein du réseau de la santé et des services sociaux. Un an plus tard, il annonçait que durant la période transitoire, les tarifs payés aux agences par les établissements publics pour la location de personnel seraient plafonnés. Si certains progrès vers une réduction du recours aux agences peuvent être observés dans l’ensemble du réseau, une analyse des données les plus récentes dans le secteur de l’aide à domicile montre que la place occupée par la main-d’œuvre indépendante (MOI) et le coût de cette dépendance structurelle à l’égard des agences y atteignent des sommets inégalés.
Cette publication a été réalisée dans le cadre du LaRISSS.
Dans les mois qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi limitant le recours aux agences, les établissements publics ont rencontré des difficultés importantes à se sevrer de la MOI, ce qui a forcé le report des échéances prévues au départ dans le règlement d’application de la loi. Néanmoins, les données publiées sur le tableau de bord du ministère de la Santé et des Services sociaux montrent que le taux de recours à la MOI a diminué de manière importante depuis un an, passant de 5,81 % en septembre 2023 à 2,16 % en septembre 2024.
L’analyse des rapports financiers des CISSS et des CIUSSS montre que le secteur de l’aide à domicile suit la tendance exactement inverse. Ceci est d’autant plus préoccupant que, dans une note de recherche publiée en 2022, l’IRIS montrait que c’est en aide à domicile que la dépendance du réseau à l’égard des agences est la plus forte. En effet, en 2020-2021, le taux de recours à la MOI en aide à domicile atteignait 27 %, soit un taux similaire à celui de l’année pré-pandémique 2019-2020, mais en augmentation notable depuis 2015-2016, où il était de 20 %. Or, selon les données les plus récentes disponibles, ce sont désormais 38 % des heures d’aide à domicile qui sont effectuées par du personnel d’agences.
Par ailleurs, cette même note de recherche montrait également une augmentation importante du coût de la MOI en aide à domicile depuis 2015-2016. Si les coûts plus élevés du recours aux agences sont bien connus pour les services professionnels requérant un diplôme d’études supérieures, comme les services infirmiers, la situation est différente dans le cas des services offerts par du personnel moins qualifié, comme les préposé·e·s et auxiliaires en aide à domicile. Historiquement, le choix de sous-traiter une part importante de l’aide à domicile aux agences de placement a d’ailleurs été motivé en bonne partie par un objectif de réduction des coûts. En embauchant des travailleuses et des travailleurs moins bien formé·e·s, précarisé·e·s et sous-payé·e·s, les agences parvenaient à offrir aux établissements publics une main-d’œuvre bon marché tout en dégageant une marge de profit.
Néanmoins, au fur et à mesure que la dépendance des CISSS et des CIUSSS à l’égard de ces entreprises à but lucratif s’est accrue, celles-ci ont eu beau jeu d’augmenter leurs tarifs, et l’avantage financier de recourir aux agences a progressivement diminué : alors que les établissements économisaient 13 $ de l’heure en 2015-2016 en sous-traitant les services d’aide à domicile aux agences plutôt que de recourir à leur propre personnel, cette économie avait fondu à 4 $ de l’heure en 2020-2021. Et selon les données les plus récentes, il en coûte désormais 6,50 $ de plus de l’heure au réseau pour recourir à la MOI dans l’aide à domicile (graphique 1).
Ces tendances s’expliquent par deux facteurs principaux. Le premier est que la privatisation des services soumet la fixation de leurs prix aux mécanismes du marché et que, comme toute entreprise à but lucratif, les agences de placement tendent à augmenter leurs tarifs autant que la demande le permet. Le second est qu’un règlement entré en vigueur en janvier 2020 interdit désormais aux agences de rémunérer leur personnel à un taux inférieur à celui des salarié·e·s de l’établissement client qui effectuent le même travail. Les agences ont ainsi perdu le levier principal qui leur permettait d’offrir les services d’aide à domicile à moindre coût, à savoir la sous-rémunération inéquitable de leurs employé·e·s.
Le cas des agences de placement en aide à domicile est donc une illustration de plus que la prétention du secteur privé à offrir des services à moindre coût n’est qu’un mythe véhiculé par les promoteurs de la privatisation des services. Il montre ainsi que la tentation d’une réduction des coûts par la privatisation des services, si elle peut se réaliser à court terme, se paye éventuellement très cher.
Qu’en est-il des EÉSAD?
On ne peut à la fois reprocher au privé d’avoir embauché des “travailleurs moins bien formé·e·s, précarisé·e·s et sous-payé·e·s,” afin d’offrir aux établissements publics “une main-d’œuvre bon marché” et ensuite dénoncer l’augmentation des coûts engendrés par une loi qui exige des conditions de travail adéquates dans ce secteur …
On aurait bien aimé savoir plus précisément comment l’augmentation des coûts se traduit pour les travailleuses de ces agences privées VS. les profits tirés de leurs activités par les dites agences. La question du profit me semble fondamentale, ici. Les agences privées sont-elles toutes organisées sur le même modèle, ie. à but lucratif ? Pas de coop ou OSBL ?
L’augmentation du taux horaire du graphique 1 révèle-t-elle de de meilleurs salaires pour les travailleuses, et de combien concrètement ? Possiblement de meilleures conditions de travail (stabilité, permanence, formation, vacances, retraite, etc.)? Avec l’inflation et la pénurie de main-d’oeuvre, l’augmentation du coût horaire est-elle si étonnante ou importante ? La formation exigée en 2024 est-elle la même qu’en 2015 ?