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SAQ : le rapport que le PLQ et la CAQ voudront enterrer

28 septembre 2018

  • Julia Posca

Les entreprises publiques n’occupent pas une très grande place dans le cœur des gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1980 au Québec, de telle sorte que le monopole de la Société des alcools du Québec (SAQ) sur la vente de vin et de spiritueux a été maintes et maintes fois remis en question. La privatisation complète de cette société d’État n’est certes plus considérée comme une option crédible, notamment suite à la tentative ratée du ministre péquiste Rodrigue Biron en 1985 ; or, plusieurs continuent de jubiler à l’idée de vendre une partie des actifs de la SAQ, ou minimalement d’ouvrir le commerce de l’alcool au privé afin de permettre à des entreprises de lui faire compétition, au bénéfice, avancent-ils, des consommateurs et consommatrices de la province.

En mai dernier, le premier ministre Philippe Couillard a commandé une étude visant à analyser le contexte actuel de la vente de boissons alcoolisées et la performance de la SAQ, ainsi qu’à élaborer différents modèles d’affaires pour ce type de commerce au Québec. Plus souvent qu’autrement, lorsque le gouvernement mandate des experts externes pour réaliser ce type d’études, c’est pour valider des décisions en matière de politiques publiques qu’il a déjà l’intention de prendre. C’est du moins le scénario qu’on a pu observer par le passé, entre autres dans le cas d’un rapport déposé en 2015 par la Commission de révision permanente des programmes à propos de la SAQ.

C’est la firme PricewaterhouseCoopers (PwC) qui a obtenu le contrat. Or, le ministre des Finances, à qui est adressé le rapport, a dû être déçu, puisque cette fois-ci, il ne conforte par le gouvernement dans sa volonté de libéraliser le commerce du vin et des spiritueux. Au contraire, PwC y conclut que tant la cession d’une partie des actifs de la SAQ que l’ouverture complète ou partielle de la vente d’alcool à des détaillants privés ne seraient, globalement, pas profitables. Les consommateurs et les consommatrices, mais aussi l’État et la main-d’œuvre du secteur, seraient pénalisés par une telle décision.

PwC affirme qu’un scénario de privatisation partielle « ne garantirait pas une diminution de prix sur les produits pour les consommateurs, alors qu’il est quasi certain que des impacts économiques négatifs se réaliseront, comme les pertes d’emplois, la dégradation des conditions de travail ainsi qu’un impact encore plus négatif pour les consommateurs en région. »

L’entrée en jeu de compétiteurs « […] aurait des impacts similaires au scénario 1, mais dans une moindre mesure. » Enfin, l’« ouverture des lignes de produits exclusives à la SAQ aux détaillants autorisés (épiceries et dépanneurs) […] comporte les impacts les plus extrêmes. Bien que les consommateurs bénéficient d’aspects très positifs comme une augmentation de l’accès au réseau, les impacts négatifs pour les succursales de la SAQ (dont la perte de valeur significative de l’actif) et pour les emplois en général sont majeurs. »

Dans une autre section de son rapport, PwC conclut par ailleurs que la performance de la SAQ n’a rien à envier à d’autres entreprises similaires, privées ou publiques, au Canada et aux États-Unis. Sa marge brute est satisfaisante, ses frais généraux et administratifs sont comparables aux autres commerces du secteur, et ses frais d’exploitation, calculés en proportion de ses revenus, ont eu tendance à diminuer depuis une dizaine d’années, et ce, malgré des coûts de main-d’œuvre plus élevés qu’ailleurs. PwC souligne toutefois que les secteurs de la distribution et de la vente au détail pourraient être optimisés pour éliminer des redondances et réaliser des économies d’échelle.

Fait à noter, PwC rappelle aussi dans son rapport que c’est au Québec que les prix de l’alcool ont progressé le moins rapidement entre 1990 et 2017, en comparaison du reste du Canada et de certaines provinces, dont l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique.

À la lumière de ces résultats, PwC recommande au ministère des Finances de réaliser de nouvelles études avant de mettre en œuvre l’un ou l’autre des scénarios évoqués dans son étude. Il est notamment suggéré d’étudier plus avant l’impact des différents modèles élaborés sur le prix des bouteilles vendues. À cet effet, l’IRIS avait conclu, en comparant le marché de l’alcool au Québec avec ceux de l’Alberta (en 2015) et de la Colombie-Britannique (en 2016), que la SAQ appliquait en moyenne des prix semblables à ceux des entreprises de ces deux provinces. La vente au détail est exclusivement réalisée par le privé en Alberta, tandis qu’en Colombie-Britannique, une entreprise publique partage le marché avec des détaillants privés.

Le Parti libéral s’est empressé, après que le rapport de PwC ait été rendu public, de mentionner qu’il mettrait fin au monopole de la SAQ s’il était reporté au pouvoir le 1er octobre. La Coalition avenir Québec a elle aussi signifié son intention d’introduire de la concurrence dans le marché des vins et des spiritueux. Devant un tel entêtement, on ne peut que conclure que tant le PLQ que la CAQ ont cédé à la pression de lobbys qui travaillent dans l’intérêt des grandes entreprises. En bout de ligne, ce sont elles qui bénéficieront le plus d’une libéralisation du commerce de l’alcool — au détriment de ceux et celles qui veulent jouir d’une offre diversifiée et abordable dans toutes les régions du Québec.

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