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Réplique à l’IEDM : mettre fin au bar ouvert

18 août 2015

  • Guillaume Hébert

La campagne électorale fédérale permet de constater à nouveau comment l’idée d’un régime public d’assurance-médicament progresse. Il s’agit désormais d’un enjeu électoral. L’idée d’un tel régime a fait beaucoup de chemin ces dernières années et ce, à tel point que les opposant-e-s à cette proposition préfèrent désormais influer sur le régime que le gouvernement mettra en place plutôt que de suggérer le maintien du statu quo.

En juin dernier, les provinces et territoires du Canada avaient accentué la pression sur le gouvernement fédéral afin qu’il facilite la mise en place d’un régime d’assurance-médicaments visant à accroître l’innocuité des médicaments et mieux contrôler leurs coûts. Des éditoriaux ou des articles favorables sont apparus dans la dernière année dans plusieurs grands journaux.

Dans le lot des opposant-e-s à l’intervention gouvernementale, l’Institut économique de Montréal (IEDM) publiait cette semaine une note économique se voulant une mise en garde contre un régime universel. Son auteur, Yanick Labrie, affirme que dans les pays avec un régime public universel, une plus grande part des dépenses est payée de la poche des patient-e-s et soutient que les contrôles des dépenses en médicaments « ont vraisemblablement un rôle à jouer dans les plus faibles taux de survie à divers cancers au Royaume-Uni ».

Ces arguments ne tiennent tout simplement pas la route. Le Canada possède les coûts les plus élevés par habitant en médicaments (derrière les États-Unis). La proportion des dépenses personnelles des patient-e-s est plus élevée dans les pays avec des régimes publics universels non pas parce qu’ils paient plus de leur poche, mais parce que le total des coûts est moindre. Par exemple, les Danois paient en moyenne de leur poche 35% d’une facture annuelle de 289$ (soit $101) alors que les Canadiens paient de leur poche 26% d’une facture annuelle de 692$ (soit 180$). Toutefois, dans la logique de l’IEDM, les Canadiens se portent donc mieux car ils paient une proportion moindre (26% ou lieu de 35%).

La question du taux de rémission des cancers est une question extrêmement complexe qui ne peut en rien soutenir l’idée de la supériorité du régime québécois. Les variations des taux de rémission ne dépendent pas du niveau de couverture des médicaments anti-cancer, mais bien des programmes de dépistage dans les différents pays. Un taux de rémission plus élevé n’est pas nécessairement une bonne chose. Si on fait du dépistage à grande échelle, on détecte plus de cancers et on traitera plus de cancers, mais plusieurs formes de cancer se développent très lentement et n’affectent en rien la qualité de vie des patients (à moins que ceux-ci se rendent à plus de 130 ans). En fait, de plus en plus, on découvre que certaines grandes campagnes de dépistage font plus de mal que de bien. Bien sûr, elles augmentent le taux de rémission en soignant des cancers qui n’auraient pas été dommageables, mais au détriment des patients qui subissent souvent inutilement les angoisses et les effets secondaires de ces traitements.

Mettre l’accent sur le taux de rémission est donc problématique. Notons que depuis 2010 au Royaume-Uni – l’exemple utilisé par l’IEDM – on a créé un fonds pour permettre de rembourser les médicaments anti-cancer sans évaluer si leur valeur thérapeutique justifie leur prix. Dans la logique de l’IEDM, on aurait donc pu s’attendre à une forte amélioration des taux de rémission depuis 2010 mais il n’en fût rien. Les dépenses supplémentaires de $2 milliards pour améliorer l’accès à ces médicaments ont été considérées comme un immense gaspillage pour les patients (et un immense profit pour les firmes pharmaceutiques), suite à quoi il a fallu mettre sur pied un groupe de travail visant à améliorer les résultats de lutte contre le cancer au Royaume-Uni. Ce dernier est arrivé à une série de recommandations, allant de la prévention et le renouvellement des équipements de radiologie, mais l’accès aux thérapies médicamenteuses n’a pas été jugé problématique. Dans tous les cas, l’utilisation de l’exemple de rémission des cancers au Royaume-Uni pour vanter le régime québécois relève d’une logique tordue et irresponsable.

M. Labrie donne l’impression qu’une consommation plus grande de médicaments est nécessairement bonne et que le Québec devrait sans doute se percevoir comme un champion puisque c’est ici que les dépenses en médicaments per capita sont les plus élevées.

Pourtant, plus de pilules ne signifie pas plus de santé, et ça pourrait même souvent signifier l’inverse.

Les médecins s’inquiètent d’ailleurs de plus en plus du surdiagnostic et surtraitement. Non seulement l’excès de médication, constitue un problème en soi, mais il s’accompagne présentement, à l’autre bout du spectre, du sacrifice des politiques préventives et en premier lieu des analyses globales de la santé publique, le parent pauvre du système de santé actuel.

Le système québécois a le mérite de couvrir tout le monde sans exception, mais il fonctionne comme un bar ouvert et s’est avéré si coûteux que sa pérennité est menacée. Le modèle québécois, qui fait la part belle aux assureurs privés, n’est pas un modèle à suivre et il devra changer lui aussi. Par conséquent, ce que l’IEDM nomme « rationnement » dans sa dernière publication est d’abord et avant tout une politique visant à mettre fin au gaspillage. Elle permettra en outre de mieux choisir et de mieux utiliser les médicaments à une époque où il est devenu urgent d’y mettre de l’ordre.

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