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Réforme Dubé | Quand le privé rime avec moindre qualité (2)

9 septembre 2023

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7min

  • Raphaël Langevin

Dans un précédent billet, j’abordais la question de l’effet du secteur privé en santé sur la longueur des listes d’attente dans le réseau public de la santé au Québec. Les évidences empiriques observées à l’extérieur du Québec pointent toutes dans la même direction : une augmentation de la place du privé en santé n’aura probablement aucun impact effet sur les listes d’attente à court terme dans le réseau public au Québec. Et même si cela était le cas, cela risque fort de se faire au détriment de la qualité des soins, ce qui est confirmé par la littérature scientifique sur le sujet.

Cette publication a été réalisée dans le cadre du LaRISSS.

Bien que peu probable, il faut toutefois reconnaître que le transfert de certaines chirurgies vers le secteur privé peut entraîner, à court terme, une réduction des temps d’attente dans le réseau public, notamment pour certaines chirurgies électives comme celles du remplacement du genou ou de la hanche. Mais même si cela s’avérait, il reste crucial de savoir si la qualité des soins offerts au privé est comparable à ceux offerts dans le réseau public. Si la longueur des listes d’attente est réduite à court terme, mais que la qualité des soins diminue au même moment, nous ne ferions que « pelleter » le problème vers l’avant, car une moins bonne qualité des soins implique un plus grand nombre de complications futures. Qui dit plus de complications futures dit aussi plus de coûts et plus d’attente à long terme, ce qui peut être évité si des soins de qualité sont initialement prodigués dans le réseau public.

Privé en santé rime avec moindre qualité

Les résultats d’une récente étude publiée dans le journal The Lancet et utilisant un large éventail de données britanniques collectées entre 2013 et 2020 sont sans équivoque à ce sujet : une augmentation annuelle de 10% du nombre de procédures effectuées dans les cliniques privées augmenterait significativement le taux de mortalité « traitable » de 3,8%, ce qui correspond à 557 décès évitables supplémentaires depuis 2014 pour l’échantillon considéré uniquement (environ 600 000 procédures médicales). La mortalité traitable correspond « au nombre de décès qui peuvent être évités grâce à des interventions médicales appropriées et effectuées à temps ». Les auteurs en arrivent à la conclusion que la hausse du taux de mortalité traitable est une des conséquences de la moins bonne qualité des soins offerts dans le réseau britannique privé comparativement au réseau public.

Une autre étude, publiée cette fois en 2013, montre qu’une plus grande place du secteur public dans la santé en Italie était associée avec une réduction de la mortalité évitable au fil du temps, alors que ce n’est pas le cas avec le secteur privé. Une revue de la littérature sur le sujet publiée en 2014 en arrivait à la conclusion que « des différences significatives en termes de mortalité et de coûts ont été trouvées, les deux étant plus élevés dans les établissements privés à but lucratif » que dans les établissements privés à but non lucratif (c.-à-d. détenu et géré par des organismes sans but lucratif). Finalement, une autre revue de la littérature publiée en 2018 concluait que, « malgré l’opinion populaire voulant que plus de privé soit synonyme de plus d’efficacité, […] la plupart des évidences montrent que les hôpitaux publics sont autant, sinon plus efficaces que leurs équivalents privés ».

L’idée selon laquelle le secteur privé serait plus efficace que le secteur public en raison des impératifs de rentabilité du premier ne s’applique tout simplement pas au domaine de la santé. Et pourquoi donc? Essentiellement parce que les profits du secteur privé en santé risquent de diminuer si ce dernier génère de trop bons résultats de santé au fil du temps. Il ne faut jamais oublier que les acteurs privés ont besoin d’individus malades dans la population afin d’être rentables, contrairement aux acteurs du réseau public qui sont incités à prévenir le mieux possible la maladie afin de contenir les coûts du système.

Si une plus forte compétition entre les établissements privés de santé peut pousser ces derniers à offrir de meilleurs soins, cet argument reste purement théorique et reçoit peu de soutien empirique. Qui plus est, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mentionnait récemment qu’une plus grande compétition entre les hôpitaux n’augmentait pas forcément la qualité des soins (voire la diminuait dans certains cas) et que la demande de soins répondait très faiblement aux différences de qualité observées entre les établissements privés.

C’est pour ces raisons que la plupart des réseaux publics de santé vont se doter d’institutions et de mécanismes leur permettant de suivre de la qualité des soins à court et à long terme (comme c’est le cas avec l’INESSS au Québec), cela dans l’objectif d’obtenir les meilleurs résultats de santé pour les plus petits coûts possibles. De tels mécanismes et institutions sont généralement beaucoup moins présents au sein du secteur privé, les établissements privés étant gérés isolément et en compétition les uns par rapport aux autres.

Des solutions à portée de main

Plusieurs pistes de solutions afin de réduire les listes d’attente, qui n’impliquent pas le secteur privé et qui ont fait leur preuve ailleurs au pays, sont pourtant à portée de main. Par exemple, plusieurs hôpitaux en Ontario ont réussi à réduire leur temps d’attente en utilisant des méthodes de « lissage chirurgical » et par l’implantation de files d’attente centralisées. La première méthode consiste à créer deux lignes chirurgicales au niveau hospitalier, soit une pour les chirurgies urgentes et une autre pour les non urgentes, alors que la deuxième méthode attribue chaque chirurgie au premier spécialiste disponible à travers un bassin de chirurgiens au lieu d’être attribuée à un spécialiste en particulier. Selon l’Association médicale ontarienne, l’implantation de cette dernière méthode à travers la province réduirait les temps d’attente de 20% à 30%, ce qui tarde toutefois à se matérialiser en raison du manque de soutien gouvernemental envers un tel système.

Les stratégies de prévention des maladies et de renforcement de la première ligne sont aussi à privilégier considérant que cela permet de réduire la charge de travail des équipes en milieu hospitalier en limitant l’occurrence de maladies sévères dans le futur. Bien que le guichet d’accès à la première ligne (GAP) soit un pas dans la bonne direction, la faible capacité d’attraction et de rétention de la main-d’œuvre dans le réseau public limite toutefois son efficacité. Tel que mentionné plus haut, le manque de main-d’œuvre au sein du réseau public, notamment chez le personnel infirmier, limite aussi la capacité de ce dernier à utiliser toutes ses ressources matérielles disponibles.

Pourtant, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec mentionnait en novembre dernier qu’il n’y a jamais eu autant d’infirmières au Québec. Or, l’exode du personnel infirmier vers le secteur privé et la demande croissante en soins de santé de la part de la population québécoise ne sont pas des fatalités, comme je l’expliquais dans une lettre publiée en octobre 2021. Presque deux ans plus tard, le paradigme n’a pas réellement changé au sein du réseau public malgré que la pandémie de COVID-19 exerce maintenant une pression beaucoup moins grande sur nos hôpitaux.

Que faire alors? La première chose qui serait réellement efficace, pour reprendre les mots du ministre Dubé, serait de réduire et non d’accroître la place du secteur privé en santé. Si cela n’est pas fait rapidement durant les prochaines années, la qualité des soins diminuera, les listes d’attente s’allongeront et la pénurie de personnel dans le réseau public s’aggravera. Il faut dès lors se rendre à l’évidence : le privé en santé n’est pas la solution à ces problèmes, mais bien leur cause.

Une réalisation du LaRISSS

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