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Les opioïdes tuent de plus en plus

13 mai 2016

  • AC
    Alan Cassels

Nous traversons aujourd’hui une épidémie de drogue si grave et répandue que peu de gens en Amérique du Nord pourront y échapper. Si vous pensez que j’exagère, jetez un coup d’œil aux taux de consommation de narcotiques et de mortalité qu’elle provoque, probablement les plus élevés de l’histoire moderne.

Certains esprits critiques ont commencé à montrer du doigt le système médical et ses prescripteurs : des médecins et des spécialistes bien intentionnés qui, trop souvent, administrent des opioïdes excessivement puissants dans le but de soulager des douleurs modérées. Or, si on cherche un peu plus loin, on se rend compte qu’un autre facteur important mérite d’être examiné : celui du rapport entre la formation médicale et l’influence exercée par les sociétés pharmaceutiques.

En règle générale, l’emploi du terme « épidémie » est hyperbolique, mais cela ne semble pas s’appliquer à la situation actuelle. Tout juste la semaine dernière, le médecin en chef de la Colombie-Britannique, Perry Kendall, a déclaré que la province était aux prises avec une « situation d’urgence en matière de santé publique » provoquée, dans une large mesure, par le nombre alarmant de surdoses associées à l’usage des opioïdes d’ordonnance.

Les opioïdes comprennent des narcotiques d’ordonnance comme l’OxyContin, l’hydromorphone et le fentanyl (dont certains affirment qu’il est cent fois plus puissant que la morphine). Le Dr Kendall affirme qu’en Colombie-Britannique, le nombre de surdoses attribuables aux opioïdes dépasse déjà 200 cette année. Si la tendance se maintient, on pourrait compter jusqu’à 800 cas d’ici la fin de l’année.

La situation dans cette province de l’Ouest n’est qu’un petit échantillon de ce qui se passe à l’échelle du pays. En effet, nous affichons l’un des taux de consommation d’opioïdes d’ordonnance les plus élevés au monde. De 2006 à 2011, leur usage a cru de 32 %, et cette croissance ne ralentit pas, malgré les efforts pour la freiner.

Au Québec, le taux de mortalité lié aux opioïdes a doublé de 2000 à 2009. Et les données les plus récentes publiées par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) nous apprennent qu’entre 2011 et 2015 la prescription d’opioïdes a connu une augmentation de 29 %.

Les États-Unis se sont mis en mode « réduction des méfaits » et s’efforcent aujourd’hui de réduire le nombre incroyable de décès attribuables à ces substances. En 2012, 259 millions d’ordonnances ont été rédigées chez nos voisins, c’est-à-dire en quantité suffisante pour que chaque adulte possède son propre flacon d’opioïdes. Le taux de décès par surdose a triplé depuis 2000, et 19 000 décès ont été comptabilisés en 2014.

Il y a deux semaines, Dr Vivek Murthy, chef du service fédéral de la Santé publique (Surgeon General) des États-Unis, a déclaré devant l’assemblée dont je faisais partie qu’il comptait faire de l’épidémie d’opioïdes l’une des grandes priorités de son administration en raison des effets dévastateurs qu’il avait observés dans un grand nombre de localités d’un bout à l’autre du pays. En effet, un décès par surdose s’y produit tous les 24 minutes, et l’espérance de vie des Étatsuniens blancs, de sexe masculin et de classe moyenne serait en baisse.

Les problèmes en cause, tout comme les solutions éventuelles, sont incroyablement complexes. Je suis néanmoins d’accord avec Dr Murthy lorsqu’il affirme qu’il est absolument essentiel de limiter l’exposition de la population à ces substances, en réduisant plus particulièrement la circulation qui émane des calepins d’ordonnances. « Il faudrait rééduquer les médecins afin qu’ils y pensent à deux fois ‒ ou à trois ou quatre fois ‒ avant de prescrire des opioïdes à un patient pour la première fois », a-t-il déclaré.

Soulignons que la prescription généralisée des opioïdes est un phénomène très récent. On peut l’associer, depuis le milieu des années 1990, aux messages formulés et véhiculés par l’industrie pharmaceutique. Ces messages ont influencé la perception que les patient·e·s avaient de la douleur et l’idée que se faisaient les médecins du caractère sécuritaire des produits en question. Ainsi, on les a poussés graduellement, notamment par le biais d’activités éducatives financées par l’industrie et de manuels sur la gestion de la douleur commandités par les fabricants eux-mêmes, à prescrire des opioïdes à une population toujours grandissante de patient·e·s.

Même si la reformulation du message sur les opioïdes constituait une stratégie d’affaires, les fabricants ne sont pas les seuls à blâmer. En effet, une partie du problème réside aussi dans le lien de codépendance entre la formation des médecins et l’industrie pharmaceutique, qui subventionne une part substantielle de celle-ci.

L’épidémie qui sévit actuellement n’est-elle pas suffisamment grave pour justifier la création d’un mur étanche entre les deux?

Il nous faut transmettre des messages objectifs, axés sur l’usage sécuritaire des opioïdes et sur leurs effets pernicieux en matière de dépendance. Il importe aussi de rappeler à tou·e·s, patient·e·s comme médecins, qu’un médicament incroyablement puissant et efficace peut aussi se révéler un produit incroyablement nocif et destructeur.

La solution au problème des opioïdes doit passer par un important contrôle à la source qui s’attaque à ses multiples facettes. Il faudra certes améliorer l’accès aux centres de traitement et aux méthodes qui permettront aux patient·e·s de se libérer des affres de la dépendance. Mais il nous faudra aussi endiguer le problème sous-jacent de la dépendance de notre société à l’égard des fonds versés par l’industrie pharmaceutique à la formation médicale.

Alan Cassels est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca. Il est l’auteur de The Cochrane Collaboration: Medicine’s Best Kept Secret, qui vient de paraître.

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