Les médecins québécois au goulag?
23 juin 2017
Depuis que l’IRIS s’intéresse à la rémunération des médecins québécois, deux choses ne cessent de nous estomaquer, controverse après controverse. La première, bien sûr, les sommes d’argent colossales que les fédérations médicales ont réussi à harnacher dans le budget de l’État. La seconde, l’attitude grossièrement désinvolte des médecins lorsqu’il est question de leurs responsabilités envers la collectivité. Comme si leur donner sans arrêt plus d’argent ne faisait que les rendre sans cesse plus arrogants.
La dernière bêtise est venue du Dr Michel Vachon, président de l’Association des médecins omnipraticiens de Montréal. Lorsqu’on lui demande s’il faudrait forcer les médecins à pratiquer dans les zones « défavorisées et excentrées » de la ville de Montréal, le Dr Vachon affirme que non puisque le Québec n’est pas… l’Union soviétique.
Les travailleurs autonomes que sont les médecins québécois nous ont habitué à ce raisonnement : contrainte = goulag.
Pourtant, monsieur et madame Tout-le-monde doivent composer avec des contraintes au travail. Et ce, même s’ils et elles ne reçoivent pas des centaines de milliers de dollars d’argent public. Contrairement aux médecins.
Reste à souhaiter aux patient·e·s du Dr Vachon que ce dernier s’y connaisse mieux en médecine qu’en systèmes politiques comparés.
De plus, comme s’il s’agissait de travaux forcés en Sibérie, le Dr Vachon explique selon lui que les médecins n’ont pas le goût d’aller pratiquer « dans l’extrême est » de la ville. Pas en début de pratique, dit-il.
On pourra ajouter les déclarations de cet omnipraticien à la liste des perles de l’arrogance médicale.
Faux travailleurs autonomes
Il y a un an, l’IRIS publiait une note socioéconomique sur la rémunération très élevée des médecins. Elle contenait certains des graphiques les plus tristement spectaculaires que nous ayons publiés. La situation n’a pas changé depuis (sauf pour les frais accessoires, et, encore là, le bilan de l’interdiction reste à faire).
Mais l’enjeu des populations défavorisées et dédaignées par les médecins devrait plutôt attirer notre attention sur le statut des médecins québécois.
En janvier dernier, l’IRIS proposait de revoir ce statut – les médecins sont officiellement des travailleurs autonomes – pour en faire des salarié·e·s de l’État au même titre que la plupart des autres travailleuses et travailleurs de la santé.
Cette solution apparaît de plus en plus comme la clé de voûte de toute transformation du système qui servirait les intérêts de la population (plutôt que ceux des médecins qui pratiquent ou ceux des médecins qui gouvernent).
Pourquoi? Grosso modo, parce qu’avec son statut actuel, le médecin peut n’en fait qu’à sa tête si ça lui chante, tandis que les travailleuses qui l’entourent doivent travailler en équipe.
De fait, la situation des médecins n’a pas grand-chose à voir avec celle des autres travailleurs autonomes. 98 % des médecins participent au régime public, c’est-à-dire qu’ils ne facturent qu’un seul « client », la RAMQ. À quelques exceptions près, ils n’ont guère besoin de se soucier du « marché ».
En outre, les médecins québécois utilisent les installations publiques ou sont dédommagés financièrement pour administrer leurs installations privées. Un « véritable » travailleur autonome ne reçoit évidemment pas l’aide de ses clients pour rémunérer une secrétaire ou nettoyer ses locaux.
Salarier les médecins québécois est un premier pas essentiel afin de créer des équipes interdisciplinaires nécessaires à la prestation de soins de qualité. C’est aussi la seule manière de répondre avec équité aux besoins de toute la population.
Montréal-Nord écope
Si l’on ne compte que sur le bon vouloir des médecins québécois, les habitant·e·s de Montréal-Nord continueront d’être traités comme des citoyens de seconde zone, pour reprendre l’expression de Dre Legros, qui œuvre dans cette contrée lointaine et hostile de « l’extrême est » montréalais. Et où je réside par ailleurs depuis 35 ans.
Selon les données de la RAMQ rapportées par Radio-Canada, le nombre de personnes ayant un médecin de famille est inférieur à 60 % alors qu’il est de 75 % dans l’ensemble du Québec.
Cela dit, la solution n’est pas que médicale. Des groupes communautaires et syndicaux ont entrepris de fonder une clinique de proximité sans médecin dans Montréal-Nord, sous le modèle de SABSA à Québec. Ce modèle pourrait être davantage utilisé.
Chose certaine, il faudra agir. Autrement, abandonnées par le gouvernement et boudées par les médecins, les autorités nord-montréalaises n’auront bientôt plus d’autre choix et devront se tourner vers les pays communistes. Peut-être qu’en échange de cannes de sirop d’érable, Cuba accepterait de nous envoyer des médecins pour faire le boulot que ne veulent pas faire leurs homologues québécois?