La fin de la gratuité de la procréation médicalement assistée : une injustice en santé ?
1 avril 2016
La procréation médicalement assistée (PMA) regroupe un éventail de techniques, dont la fécondation in vitro (FIV), qui vise à contourner l’infertilité d’une personne ou d’un couple.
Au Canada, il est estimé que la prévalence de l’infertilité était de 12 à 16% en 2009-2010[1].
Au Québec, le gouvernement libéral avait instauré la gratuité des traitements de PMA en août 2010. À l’époque, le ministre de la Santé et des Services sociaux Yves Bolduc affirmait : « On va permettre à des parents, à des couples, ou à des personnes qui ne peuvent pas naturellement avoir des enfants, d’avoir un bébé avec de l’aide médicale. Une des choses les plus riches pour une personne, c’est d’avoir un enfant[2]. » Il ajoutait: « C’est bon pour le Québec parce que ça augmente la natalité; c’est bon pour les soins de santé parce que ça va diminuer les coûts au niveau de la néonatalogie et c’est bon pour les parents[3]. »
Le budget initial du programme était de 32 M$ et devait atteindre 80 M$ en 2014. Plusieurs fédérations de médecins s’étaient montrées en désaccord avec cette décision, estimant que le réseau de la santé avait besoin d’investissements majeurs, notamment dans les soins de première ligne. D’ailleurs, le programme avait été mis en œuvre simultanément à l’instauration de la taxe santé. Le Dr Gaëtan Barrette, encore président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec à l’époque, avait raillé l’initiative, affirmant qu’elle laisserait place au tourisme procréatif dans la province[4] et ajoutant qu’elle avait été demandée par un lobby[5]. En effet, l’Association canadienne de sensibilisation à l’infertilité est financée par des compagnies pharmaceutiques, comme Merck, qui fabriquent des médicaments utilisés dans la PMA[6].
Un autre médecin soulevait qu’il manquait déjà de 60 à 70 gynécologues au Québec pour suivre les grossesses normales. La présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, quant à elle, estimait que le gouvernement utilisait des fonds publics pour ouvrir des marchés lucratifs au secteur privé[7]. En effet, la plupart des soins est effectuée au privé, où un traitement de FIV, par exemple, peut coûter jusqu’à 15 000$. Du côté du public, la clinique de fertilité du CHUM, ouverte à grands frais en 2011, fermera ses portes en juin prochain[8]. Selon une source contactée au CHUM, les patientes devront se relocaliser elles-mêmes dans une autre clinique. Les projets de cliniques de FIV dans les centres universitaires de Sherbrooke et de Québec ont été abandonnés en 2014 « pour des raisons d’équilibre budgétaire[9]. »
Or, depuis novembre dernier, le remboursement de la FIV par la Régie de l’assurance-maladie (RAMQ), au public comme au privé, a pris fin et l’aide de l’État s’est réduite à un crédit d’impôt. Celui-ci sera accordé aux couples sans enfant et qui n’ont pas fait le choix d’une stérilisation volontaire, pour deux cycles de traitement[10]. Les frais seront remboursés dans des proportions allant de 20 % (pour des revenus familiaux de 120 000 $ et plus) à 80 % (moins 50 000 $). Malgré ce crédit, beaucoup doivent recourir au financement privé pour leur FIV. Plusieurs banques proposent de programmes de prêt adaptés, avec des taux d’intérêt plutôt prohibitifs pouvant aller jusqu’à 20%[11].
Les contraintes économiques poussent les patientes à choisir des procédures plus risquées pour assurer le succès du projet de conception, notamment l’implantation simultanée de plusieurs embryons. Cette pratique augmente les probabilités de grossesses multiples, plus risquées tant pendant la grossesse qu’à l’accouchement et plus coûteuses en soins spécialisés requis pour les nouveau-nés (néonatalogie)[12]. C’est d’ailleurs l’argument majeur offert par l’industrie[13] et l’Association des couples infertiles du Québec[14] pour la gratuité de la FIV.
Cependant, le Secrétariat des services consultatifs médicaux de l’Ontario a conclu que les économies liées à la réduction des grossesses multiples ne justifiaient pas la couverture universelle de la PMA dans cette province. L’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé remet elle aussi en question l’affirmation selon laquelle la diminution des coûts reliés aux grossesses multiples compense les investissements publics pour couvrir la FIV[15]. De plus, plutôt que de la subventionner via la RAMQ ou par des crédits d’impôt, il serait possible réglementer l’industrie pour empêcher l’implantation simultanée d’embryons[16]. Cela diminuerait cependant les chances de succès de chacun des cycles de FIV et les personnes ou les couples moins fortunés n’auraient probablement pas accès à de nouveaux cycles.
Alternativement, au contrecourant des récentes décisions du gouvernement, il serait possible de financer davantage les installations publiques de PMA en vue de dispenser une plus grande proportion des FIV au public. Afin de diminuer les coûts de ce soin de troisième ligne hyperspécialisé, il serait également intéressant de renforcer les soins de première ligne de l’infertilité, comme l’information et le counseling, l’investigation de l’infertilité et l’insémination artificielle. Il serait même possible d’intervenir davantage en amont, par un dépistage systématique de la chlamydia (qui est l’une des principales causes connues d’infertilité chez les femmes) lors d’examens gynécologiques de routine, par la recherche sur les liens entre l’environnement et la fertilité ou encore en offrant aux individus dans la vingtaine des conditions socioéconomiques qui facilitent leur projet de procréation [17].
La fin de la couverture de la FIV par la RAMQ a été vertement critiquée par le Parti Québécois, qui adopte un point de vue utilitariste décomplexé sur la question, avec des affirmations comme celle de Diane Lamarre « Je trouve ça dommage qu’on parle juste des coûts [du programme de PMA] parce qu’il y a des retombées économiques aussi. Quand on permet à de jeunes bébés en santé de naître au Québec, ce sont des gens qui vont être des travailleurs du Québec, des gens qui vont payer de l’impôt, des gens qui vont faire des familles au Québec et qui vont donc devenir des contributeurs à l’économie du Québec. » Pourtant, il semblerait que ce programme répondait davantage aux besoins de l’industrie qu’à ceux des familles québécoises, en transférant directement des ressources du public au privé.
Il serait plus intéressant pour les Québécois et les Québécoises de réclamer le maintien de cliniques publiques gratuites comme celle du CHUM, où aucune marge de profit n’est dégagée aux dépends de leur désir d’enfant, si l’on établit qu’être parent est un droit auquel on veut répondre de façon égalitaire pour tous et toutes, sans égard aux barrières biologiques ni monétaires à la procréation[18]. Cela ouvre cependant la porte à des questions qui soulèvent encore davantage d’enjeux éthiques, comme celle de la gestation pour autrui. Mais dans le cas contraire, il faut se demander qui seront les personnes qui auront le plus de chances de réaliser leur projet de conception dans la province, c’est-à-dire probablement les plus nanties et les couples hétérosexuels (excluant donc les femmes célibataires et les homosexuelles).
[1] BUSHNIK, Tracey, Jocelynn COOK, Edward HUGHES et Suzanne TOUGH (2015), Statistique Canada, http://www.statcan.gc.ca/pub/82-003-x/2012004/article/11719-fra.htm
[2] RADIO-CANADA AVEC LA PRESSE CANADIENNE, « La gratuité, un choix contesté. » Ici Radio-Canada, 13 juillet 2010, http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/sante/2010/07/13/001-fecondation-assistee.shtml
[3] idem
[4] idem
[5] CHAMPAGNE, Sara, « Procréation assistée: la gratuité coûte cher aux hôpitaux. » La Presse, 18 juin 2010
[6] DEPELTEAU, Julie (2011), « Le privé et la santé reproductive des femmes », Institut de recherche et d’informations socio-économiques, p. 4.
[7] RADIO-CANADA AVEC LA PRESSE CANADIENNE
[8] NADEAU, Jessica, « La clinique du CHUM ferme ses portes », Le Devoir, 24 février, 2016, http://www.ledevoir.com/societe/sante/463788/procreation-assistee-la-clinique-du-chum-ferme-ses-portes
[9] PARÉ, Isabelle, « Les centres de procréation assistée des hôpitaux seraient dans la mire du ministère », Le Devoir, 16 janvier 2016
[10] MINISTÈRE DES FINANCES DU QUÉBEC, « Modifications à la liste des frais admissibles à une aide fiscale pour le traitement de l’infertilité à la suite de la sanction du projet de loi no 20. » Bulletin d’information, 28 novembre 2014 http://www.finances.gouv.qc.ca/documents/bulletins/fr/BULFR_2015-6-f-b.pdf
[11]NADEAU, Jessica, « S’endetter pour procréer », Le Devoir, 16 février 2016, http://www.ledevoir.com/societe/sante/463079/s-endetter-pour-procreer
[12] DEPELTEAU, p. 5.
[13] DEPELTEAU, p. 6.
[14] ASSOCIATION DES COUPLES INFERTILES DU QUÉBEC (2014), « Projet de loi 20 », OACIQ, page consultée le 31 mars 2016, http://aciq.ca/projet-de-loi-20/
[15] ONTARIO, MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SOINS DE LONGUE DURÉE (2006), In Vitro Fertilization and Multiple Pregnancies ; AGENCE CANADIENNE DES MÉDICAMENTS ET DES TECHNOLOGIES DE LA SANTÉ (2009), « Assisted Reproductive Technologies in Canada », Health Technology Update, vol. 10, p. 2-3, cité dans DEPELTEAU, p. 5.
[16] DEPELTEAU, p. 5.
[17] FÉDÉRATION DU QUÉBEC POUR LE PLANNING DES NAISSANCES (2009), « Encadrer avant de payer », FQPN, http://www.fqpn.qc.ca/main/wp-content/uploads/2013/07/Avisprojetdeloi26-final2.pdf, p. 8
[18] GIRARD-LEMAY, Julie, « Le droit d’être parent ne menace pas les droits de l’enfant », Le Devoir, 27 novembre 2008, http://www.ledevoir.com/non-classe/218917/le-droit-d-etre-parent-ne-menace-pas-les-droits-de-l-enfant