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La croisade de Philippe Couillard contre la rémunération à l’acte

19 juillet 2018

  • Guillaume Hébert

« Il est temps de reconnaître l’effet nocif de la rémunération à l’acte sur notre système de santé, que plusieurs acceptent maintenant comme une évidence ». C’est ainsi que Philippe Couillard terminait une tirade contre la rémunération à l’acte dans une lettre ouverte publiée le 13 février… 1999 (Le Devoir, p. A13). M. Couillard était alors professeur agrégé au Service de neurochirurgie de l’Université de Sherbrooke, cinq ans avant de devenir ministre de la Santé dans le gouvernement libéral de Jean Charest. Quinze ans avant de devenir Premier ministre du Québec.

À l’époque, Philippe Couillard avait pris la plume pour jeter un éclairage nouveau sur « le psychodrame annuel du débordement des salles d’urgence ». La seule façon de régler le « problème d’encombrement » écrit-il, est de corriger « toutes les facettes » du problème dont le manque de disponibilité de lits de longue durée, l’épuisement du personnel infirmier, les soins à domicile insuffisants ou les CLSC qui ne parviennent pas à assumer leur rôle de première ligne efficace. Il est désolant de constater qu’en cinq ans à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux et après plus de quatre ans à la tête du gouvernement québécois, le Dr Couillard s’est montré impuissant devant tous ces problèmes. Ces problèmes ont même empiré durant le long règle libéral.

Dans sa lettre ouverte de 1999, Philippe Couillard insiste sur un autre problème : celui de la rémunération à l’acte des médecins spécialistes en pratique hospitalière. Pour l’expliquer, M. Couillard prend l’exemple d’un chirurgien, le Dr X :

« Dépendant uniquement de la rémunération à l’acte pour maintenir son revenu, [Dr X] constitue à lui seul une PME médicale à l’intérieur d’une institution publique. En tant que tel, il se doit de protéger son chiffre d’affaires semaine après semaine, et c’est bien naturel. Que ceci entre en conflit avec les intérêts généraux de la population et du réseau de santé public n’a que très peu d’importance: le malade allongé à l’urgence sur une civière, en attente d’un lit « à l’étage », est une menace à son entreprise: Lui permettre, activement ou passivement, d’accéder à ce lit tant recherché mène forcément à une réduction du chiffre d’affaires de l’entreprise «Dr X inc.».

On imagine mal aujourd’hui Philippe Couillard décrire aussi crûment l’opposition frontale entre l’intérêt d’un médecin rémunéré à l’acte et celui du reste de la population et de tout le système de santé et services sociaux. Non seulement M. Couillard n’a pas agi sur ce problème lorsqu’il était ministre, mais il a contribué à l’extension du privé – en permettant par exemple la création des Centre médicaux spécialisés (CMS) – dans un système de santé québécois qui se caractérise déjà par des dépenses privées au-delà de la moyenne de l’OCDE, et il a introduit une grande réforme en 2004 qui s’inspirait de la gestion entrepreneuriale et qui nous a donné les CSSS et les Agences (qui disparaîtront ensuite dans la réforme Barrette de 2015).

M. Couillard comparait à l’époque la rémunération à l’acte à un « fast-food médical » où le médecin a intérêt à multiplier (de façon souvent autoreproductrice) des « actes mineurs, faits rapidement et sans risques » alors que « les cas lourds et complexes [ou encore] l’enseignement ne sont pas valorisés ». Il balaie par ailleurs du revers de la main l’argument voulant que les médecins verront ainsi baisser leur productivité : « Que l’on se rassure : la profession médicale, comme les autres, est constituée en majorité d’individus consciencieux […] tirant leur gratification de la sensation du travail bien fait ». Malgré tout, le mode de rémunération décrié par Philippe Couillard est toujours largement dominant au Québec alors qu’on s’en est éloigné dans plusieurs autres provinces canadiennes.

Francis Vailles de La Presse rapportait par ailleurs mercredi le contenu d’une étude d’économistes de l’Université Laval qui montre qu’une rémunération plus élevée chez les médecins fait carrément diminuer la quantité de travail abattu par ceux-ci. Ce n’est pas la première étude qui constate ce type de tendances. Celle citée par Vailles montre que pour chaque hausse de 10% de la rémunération des médecins spécialistes, le nombre d’heures travaillées diminue de 1%. L’étude porte sur la période allant de 1996 à 2002 seulement. Il est inquiétant de penser à ce que révéleront les données de la dernière décennie alors que les médecins ont obtenu depuis 2007-2008 une enveloppe budgétaire plus grosse de 11,3% en moyenne année après année.

En 1999, Philippe Couillard est parti en croisade contre la rémunération à l’acte des médecins parce que, selon lui, elle minait tout le système de santé. Vingt ans plus tard, les choses n’ont pour ainsi dire pas bougé à ce chapitre. Pire, on introduit peu à peu l’équivalent de la rémunération à l’acte des médecins pour l’allocation des ressources dans l’entièreté du système sociosanitaire québécois par le biais du « financement à l’activité » (que des promoteurs auront rebaptisé « financement axé sur le patient » pour rendre la chose plus attrayante).

Il faudra un jour – et peut-être très bientôt – faire la synthèse de l’héritage politique qu’aura laissé Philippe Couillard. En ce qui a trait au domaine de la santé et des services sociaux, le nom du neurochirurgien et ex-ministre est d’ores et déjà synonyme d’échec monumental.

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