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Êtes-vous plutôt SABSA ou Lacroix ?

13 avril 2016

  • Guillaume Hébert

Deux initiatives différentes, toutes deux dans la région de Québec. Les deux visent à offrir des services de première ligne parce que le réseau de la santé et des services sociaux en a cruellement besoin. Pourtant, ces deux expériences sont fondamentalement différentes. La première est une coopérative qui cherche à s’émanciper de l’autorité bureaucratique et médicale. La seconde est « une business ».

Ces derniers temps, on a entendu parler de la « clinique sans médecin » de Québec, la coopérative SABSA, puisque cette initiative audacieuse arrive au terme de son financement. Elle avait été lancée par des infirmières praticiennes en 2011. Jusqu’à maintenant, elle a fonctionné notamment avec du bénévolat et un soutien financier de la Fédération interprofessionnelle en santé (FIQ).

L’objectif de cette clinique était d’offrir des services infirmiers et psycho-sociaux en formant un hybride entre les milieux communautaires et les hôpitaux. Une vraie première ligne, quoi. Aux yeux de plusieurs, c’est la faiblesse de cette première ligne de soins davantage même que les problèmes de listes d’attente ou l’obtention d’un médecin de famille qui doit être réglée pour améliorer le système socio-sanitaire québécois (récemment sur notre blogue, Anne Plourde expliquait comment dans le passé on a torpillé les CLSC qui devaient précisément remplir cette mission d’offrir une première ligne efficace).

La coop SABSA a commencé ses activités avec deux infirmières, deux travailleurs sociaux et une intervenante psycho-sociale. La clinique n’a pas de médecin mais peut référer à des spécialistes (donc sans passage obligé par un omnipraticien). L’approche est « intégrée », c’est-à-dire qu’elle combine notamment la santé mentale et physique, et même si les patient·e·s sont souvent « extrêmement désaffilié·e·s » – c’est-à-dire « poqué·e·s » –, on y trouve de tous les profils puisque la coop SABSA répond à un objectif de mixité sociale plutôt que de contribuer à créer des ghettos de richards d’un côté et des résidus de l’autre, comme ça finira par arriver dans un système à deux vitesses qui abandonne l’universalité de l’accès à la santé.

La chaire de recherche POCOSA de l’Université de Montréal a produit un premier rapport sur la clinique. Elle conclut qu’il s’agit d’un modèle « remarquablement efficient » : « La coopérative de solidarité SABSA opère un important volume de soins en répondant à la fois aux besoins spécifiques de personnes particulièrement vulnérables, comme celles vivant avec le VIH ou l’hépatite C, et aux besoins d’une population qui rencontre des difficultés d’accessibilité au réseau de santé et des services sociaux ».

Mais l’autonomie de cette clinique sans médecin a dérangé. Elle a dérangé d’abord des administrateurs du système public sous prétexte qu’elle causait un « dédoublement de service ». Et en se passant de médecin, elle a froissé des docteurs. Les infirmières de la clinique ont été sermonnées au moment même où elles pensaient recevoir des félicitations pour le bon boulot accomplit. Dans un témoignage sur l’aventure de la clinique, l’infirmière praticienne Isabelle Têtu explique : « on m’a traité comme si j’avais fait un vol à main armé ».

Alors que l’initiative de la coop SABSA montre comment on pourrait réussir à résoudre efficacement et intelligemment une bonne partie de l’accès aux soins, la coop risque plutôt de cesser ses activités faute d’appui.

Après avoir laissé dépérir les CLSC, le ministère regardera-t-il mourir SABSA ?

Peut-être que oui, puisqu’il existe un autre modèle, celui du Dr Marc Lacroix.

Cet entrepreneur, qui s’avère également être médecin, a ouvert sa première clinique privée en 2009 à Lac-Beauport. Son entreprise s’est développée rapidement ; il compte maintenant un « réseau » de six cliniques privées et six cliniques affiliées. Il planifie ouvrir le premier hôpital privé au Québec.

Il s’agit bien de cliniques « privé-privé », c’est-à-dire que tant le financement que la prestation est privé (alors que même si les cabinets de médecins au Québec sont effectivement « privés », les médecins sont rémunérés par la RAMQ, donc le financement demeure « public »).

C’est au magazine Luxe que Marc Lacroix a dévoilé la « recette du succès » : « fournir un médecin à des personnes qui n’en ont pas, leur permettre de le consulter rapidement et leur consacrer du temps d’écoute et de l’attention. Quelques mots qui résument bien la différence principale entre le système privé et le public ».

On pourrait donc déduire des propos du docteur Lacroix que le système public applique quant à lui la « recette de l’insuccès » en s’occupant de tout le monde, même des pauvres, plutôt de se concentrer comme l’entreprise privée à but lucratif sur les patients qui peuvent cracher le morceau. Le réseau public est nono, il y a pas dire.

La Dre Julie Marois avait elle aussi son mot à dire sur le climat vivifiant de la clinique Lacroix, « Je souhaitais [avoir] le temps d’écouter mes patients, de faire le tour de leur situation de santé et ne plus seulement traiter le malaise qui justifie leur visite. Ici, on me demande de faire mon travail de médecin, au meilleur de mes connaissances […] Honnêtement, je trouve que c’est la meilleure atmosphère de travail possible et je crois que le climat familial et de confiance qui règne ici y est pour quelque chose ».

C’était avant de démissionner avec fracas. Dans sa lettre de démission, Julie Marois affirme désormais que «la priorité de l’entreprise s’est dirigée vers l’acquisition de profits, et ce, au détriment du client» et que les patient·e·s y subissaient de la « vente de forfait sous pression », de la « publicité trompeuse » et que des « clients » qui « devraient être dirigés vers l’urgence […] se voient offrir des rendez-vous» en clinique.

Le Dr Lacroix a poursuivi la Dre Marois après son départ pour faire respecter la clause de non-concurrence qu’il y avait dans son contrat. Cette dernière est passée dans une autre clinique privée de Québec et risquait de ravir des clients à son ancien employeur.

Outre ces considérations à propos du marché de la médecine familiale pour nantis, d’autres ont montré ailleurs les incohérences du modèle proposé par le Dr Lacroix. Il s’agit d’un  « mirage », nous dirait le Dr Vadeboncoeur, et non d’un « modèle », si bien sûr l’objectif est d’améliorer l’accès et la qualité des soins de santé et non de permettre aux plus nantis de passer devant les autres et au passage enrichir davantage les médecins.

En somme, Marc Lacroix est simplement un petit entrepreneur qui a compris qu’il y a une piastre à faire en médecine familiale lorsqu’il y a d’un côté un système public atrophié et de l’autre des gens de plus en plus fortunés (c’est aussi ça, l’impact de la croissance des inégalités).

La question maintenant est plutôt de savoir s’il faut voir dans l’éventuelle fin des activités de la coop SABSA d’une part et la croissance fulgurante des activités du Dr Lacroix d’autre part le futur du système de santé québécois. Est-ce que le manque d’accès aux soins de première ligne est un problème crucial à résoudre ou une occasion d’affaires sans égard à la santé de la population ?

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