Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Réforme Dubé | Le courage de l’efficacité

21 août 2023

Lecture

5min


« +efficace, +efficace, +efficace, +EFFICACE ».  Ce sont le symbole et le mot qui étaient affichés devant et derrière le ministre Dubé tout au long de la conférence de presse du dépôt du plus récent projet de loi visant à transformer l’organisation du système de santé. Devant l’ampleur de la proposition de restructuration, les stratèges de communication n’y sont pas allé·e·s de main morte pour réduire « Vous en aurez plus pour votre argent » à sa plus simple expression. Or, pour que le plan proposé se traduise réellement en gains d’efficacité, il faudra que la réforme s’active prioritairement à atteindre des résultats de santé plutôt que des résultats administratifs.

Cette publication a été réalisée dans le cadre du LaRISSS.

La question de la définition des termes est récemment venue me hanter quand j’ai réalisé que la notion d’efficacité utilisée par le ministère de la Santé et des Services sociaux n’intègre pas les résultats globaux de santé populationnelle. En ce moment, on réfléchit aux moyens pour réduire le temps et le coût de chaque geste, sans définir les fins vers lesquelles seront dirigés ces gestes. Pourtant, pour évaluer l’efficacité d’un moyen, il faut définir clairement son objectif, comme le soulevait en filigrane un excellent dossier de Radio-Canada consacré à la réforme Dubé. Retourner aux racines de la création de la carte-soleil nous laisse entrevoir quelles données devraient être prises en compte pour que l’efficacité s’intègre à la mission d’amélioration de la santé.

À la fin des années 1960, la série de rapports issus de la Commission Castonguay jette les bases d’un système de santé public et universel pour le Québec. Parce que créer une assurance-maladie universelle implique des ressources phénoménales qui doivent être justifiées par des résultats tout aussi phénoménaux, les auteurs des rapports sont entièrement préoccupés par la question de l’efficacité. C’est dans cette optique qu’ils ont accompli une évaluation en profondeur de l’organisation des soins de l’époque (dominée par les assurances privées, l’Église et les médecins). À sa suite, les auteurs et autrices du rapport formulent une idée très claire : si l’objectif poursuivi par le gouvernement est d’améliorer la santé populationnelle, il faut se détacher du modèle curatif qui prévaut alors. Prendre soin a un coût, mais centrer le soin sur une guérison qui passe par l’hôpital coûte très cher.

De plus, l’hôpital, qui n’empêche pas les gens de tomber malades, est alors devenu le terrain d’expérimentation des médecins spécialistes qui concentrent leurs efforts à accomplir des prouesses médicales avec des machines sophistiquées. Du point de vue des commissaires, ces prouesses sont efficaces pour guérir des maladies singulières, mais inefficaces pour améliorer à grande échelle la santé de la population.

Personne n’est dupe: le système de santé qui coûte le moins cher, c’est celui qui est utilisé le moins possible par le plus petit nombre de personnes possible. Pour agir en ce sens, il faut donc s’assurer que la population puisse être en santé et le demeurer le plus longtemps possible. On parle de « santé globale », ce qui implique d’agir sur les déterminants de la santé comme la qualité de l’air, le revenu, le logement ou l’alimentation. Cette vision de la santé et de l’action publique oriente le choix de créer le ministère des Affaires sociales, qui deviendra ensuite le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

Les principes préventifs qui sous-tendent le concept de santé globale sont encore pertinents aujourd’hui. En 2005, le MSSS lui-même évaluait que la hausse de l’espérance de vie est redevable à 73% à des déterminants comme le revenu, l’emploi, la sécurité alimentaire, la qualité de l’eau, le logement, les réseaux de soutien social et les habitudes de vie. La pandémie de COVID-19 nous a durement rappelé ces principes puisque les lieux où la propagation a été la plus forte ont été les quartiers les plus défavorisés de la ville et les CHSLD, des institutions de soin où les conditions de travail sont peu attrayantes, soutenant un recours accru aux agences de placement. À l’aune des principes de santé globale, ce sont les actions visant à atténuer rapidement et corriger durablement ce type de problèmes qui devraient être dans la ligne de mire du ministère.

Une réforme en manque d’objectifs pertinents

Ce sont plutôt les réussites techniques qui retiennent l’attention du plan qui forme la base de la réforme Dubé. Les « bons coups » relevés se restreignent à Clic-santé, le site de prise de rendez-vous vaccinal, à des tableaux de bord de gestion ou à la télémédecine. Le ton triomphant utilisé par les documents ministériels pour référer à ces outils est inquiétant puisque l’efficacité de la gestion de la pandémie ne s’évalue pas à travers l’augmentation de leur usage. La télémédecine maximise le temps de consultation, mais ce service affecte aussi la qualité des soins lorsqu’elle est surutilisée et ne rejoint pas adéquatement les populations vulnérables. De plus, dans le cadre réglementaire actuel, cette technologie facilite la désertion des médecins de famille vers le privé. Il est donc à craindre que l’affection des gestionnaires pour les processus forme des œillères qui privent le gouvernement d’une réforme qui se ferait au profit des résultats de santé.

Ainsi, les experts qui, comme Réjean Hébert, craignent de voir la mission des services sociaux écartée de l’agence Santé Québec ont raison de tirer la sonnette d’alarme. Cet « oubli » traduit la conception étriquée de l’efficacité qui nuira aux objectifs du réseau à long terme. À l’aune d’une réforme importante, le ministre Dubé devra avoir le courage de reconnaître la complexité et l’étendue que recouvre la notion d’efficacité lorsqu’elle s’applique à la santé. Malheureusement, les tableaux de bord ne font pas partie des déterminants de la santé.

Icône

Vous aimez les analyses de l’IRIS?

Devenez membre

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

3 comments

  1. Que dire du système ambulancier qui coûte plus de 600,000,000$ par année à l’état et pour lequel ce dernier n’aurait aucun droit de regard?

  2. Comme tout bon ministre, il se doit de faire une réforme sans tenir compte de ce que réseau a réalisé de bon jusqu’au moment présent. Alors on revient au plus simple une refonte de la structure tout en soulignant sont inéficassité et sa lourdeur administrative, tout en passant ou plutôt en ignorant les vrais enjeux du réseaux de Santé ; soit la santé globale de la population. Des objectifs de performance axés seulement sur les coûts tout en intégrant et comparant avec le privé .

  3. Bien d’accord. Les services sociaux ont besoin d’un dépoussiérage important. Gaspillage de temps et d’énergies liés à une bureaucratie envahissante qui condamne des professionnels à remplir des formulaires ou à en développer de nouveaux de façon obsessive.
    Pendant ce temps, les familles s’épuisent, ne reçoivent pas les services souhaités et les gestionnaires se gargarisent d’auto congratulations, référant les personnes qui demandent des services et ne les obtiennent pas au Commissaire aux Plaintes des établissements….Que dire des fermetures des Centre d’activités de jour (coupures de 60%) pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme?

Les commentaires sont désactivés