Déconfinement : le recul a-t-il déjà été une option?
15 mai 2020
Depuis le 15 avril dernier, le déconfinement progressif est enclenché au Québec. Bien que la province soit la plus touchée par la pandémie au pays, le gouvernement caquiste maintient son échéancier de déconfinement, à l’exception du grand Montréal où le déconfinement est reporté (au moins) jusqu’au 25 mai et jusqu’en septembre pour le retour à l’école. Or, la plupart des provinces canadiennes et des états américains repoussent constamment leur échéance de déconfinement, les risques de deuxième vague étant considérés encore trop élevés. Pourquoi un tel empressement au Québec? Dans ce billet, je présente une série d’arguments permettant de croire que la stratégie québécoise de déconfinement est fortement influencée par le secteur privé québécois, et que les possibilités de « reconfinement », en cas de deuxième vague, sont minces, voire inexistantes.
Comment savoir s’il faut reculer?
Le déconfinement est bel et bien enclenché au Québec malgré les inquiétudes de plusieurs experts en santé de la province. Le directeur national de la santé publique assure que si la situation se dégrade, il sera alors possible de procéder à un « reconfinement intensif ». Selon ses dires, la Direction de la santé publique jugerait une telle possibilité à même l’évolution de différents indicateurs de la pandémie au Québec. Ces indicateurs sont les hospitalisations, le recours aux soins intensifs, les décès et le nombre de nouveaux foyers d’éclosion. Observons certains de ces indicateurs d’un peu plus près.
Tout d’abord, il importe de mentionner qu’il n’existe encore aucun critère clair permettant de savoir quand ces indicateurs forceraient le reconfinement d’une région en particulier. De plus, chacun de ces indicateurs possède au moins une lacune majeure commune, soit celle du délai existant entre l’apparition d’une réalité sur le terrain, et la prise en compte de cette réalité dans les différents indicateurs. Par exemple, la cause du décès peut prendre jusqu’à deux semaines avant d’être officialisée. Les décès liés à la COVID-19 sont donc toujours comptabilisés en retard. S’il y a 150 décès COVID réels hier, on peut éventuellement en confirmer 100 aujourd’hui, 30 demain, 5 après-demain, etc. La tendance à la baisse observée dans la courbe des décès répartis selon la date réelle du décès est seulement due à ce délai.
Si l’idée est d’agir rapidement en cas d’augmentation de la vitesse de propagation du virus, il serait mal avisé de se fier à un tel indicateur. Il en est de même pour les hospitalisations et le recours aux soins intensifs qui surviennent souvent plusieurs jours après avoir contracté la maladie, la période d’incubation du virus étant au minimum de 48 heures.
Il est aussi assez étrange d’entendre plusieurs intervenant·e·s, dont le premier ministre, affirmer que le nombre de cas ne peut être utilisé afin de juger de l’impact du déconfinement à cause des changements dans la stratégie de dépistage. Une analyse minimale des données publiques montre qu’il n’existe, a priori, aucune relation entre le nombre total de personnes testées par jour et le nombre de personnes ayant reçu un diagnostic positif. Cette absence de relation générale est d’ailleurs confirmée par le fait que, depuis plus d’une semaine, la quantité moyenne de tests quotidiens effectués a presque doublé alors que le nombre de nouveaux cas détectés était en légère diminution sur la même période. Bien que les nouveaux cas détectés soient aussi affectés par un certain délai de détection, considérer d’emblée cet indicateur comme invalide afin de juger de l’état du déconfinement n’est pas forcément justifié, sauf s’il s’agit de minimiser l’ampleur de la crise à certains moments stratégiques.
La fabrique du consentement et la situation à Montréal
Au lieu de travailler à l’élaboration de critères rigoureux, le gouvernement a plutôt choisi d’investir plusieurs millions de dollars en campagne publicitaire afin de construire « l’image du déconfinement » et aussi de « conserver la confiance de la population envers les actions gouvernementales ». Deux firmes de sondage ont aussi été approchées afin de, notamment, mesurer la confiance du public envers les actions du gouvernement. C’est sans compter la firme de services-conseils McKinsey qui a reçu 1,7 M$ de Québec afin d’aider le gouvernement à préparer le déconfinement, malgré le mandat similaire que possède l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) quant à l’impact des différents scénarios de déconfinement sur l’évolution de la pandémie au Québec.
L’octroi de ce dernier contrat est d’autant plus étrange que, vendredi dernier, l’INSPQ publiait sur son site web ses plus récentes projections concernant l’impact du déconfinement sur les nouveaux cas et les décès dans le Grand Montréal et dans les autres régions. Si le déconfinement est effectivement retardé à Montréal, cela inclut en réalité les territoires appartenant à la Communauté métropolitaine de Montréal, soit l’île de Montréal et ses banlieues. Or, les scénarios de l’INSPQ prédisent « une augmentation rapide des cas et des décès » s’il y a déconfinement dans le Grand Montréal, cela incluant aussi tout le territoire des régions de la Montérégie, des Laurentides et de Lanaudière. Il est donc encore plus étrange d’entendre le premier ministre affirmer que le scénario de l’INSPQ « n’arrivera jamais » alors que le déconfinement est déjà partiellement engagé dans 3 des 5 régions visées par les scénarios de l’Institut.
Malheureusement, l’attention qui est mise sur Montréal agit aussi, dans les faits, comme un effet de diversion quant à l’évolution de la pandémie dans les autres régions du Québec. C’est notamment le cas de la région de la Capitale-Nationale où le nombre de nouveaux cas détectés a récemment connu sa plus forte croissance depuis le 24 mars. Le décompte régional des cas quotidiens fourni par Radio-Canada nous permet aussi de constater qu’environ 30 nouveaux cas sont détectés en moyenne par jour en Mauricie depuis la mi-avril et que ce chiffre ne montre aucune tendance à la baisse depuis ce temps. Regroupées ensemble, ces 7 régions du Québec comptent pour un peu plus de 75% de la population québécoise.
Un déconfinement politique?
Cette « diversion » combinée aux différents contrats octroyés en offensive publicitaire et conseils stratégiques nous laisse penser que le gouvernement tente avant tout de rassurer la population quant à l’actuelle stratégie de déconfinement. D’un point de vue purement électoral, cette « acceptabilité sociale » du déconfinement peut avoir un impact important sur les possibilités de réélection du présent gouvernement. D’ailleurs, un récent sondage de la firme Léger montrait que la satisfaction à l’égard du gouvernement et de sa stratégie de déconfinement a chuté rapidement en l’espace de deux mois. Le premier ministre ajusterait-il ses stratégies de déconfinement en fonction de l’humeur de l’opinion publique? La récente controverse autour de « l’immunité collective » peut nous laisser croire que les préoccupations politiques ne sont jamais mises de côté pour un gouvernement, même en temps de crise.
De plus, selon les derniers résultats électoraux, la popularité de François Legault (et de la CAQ en général) est surtout concentrée dans la périphérie des centres urbains et dans les milieux ruraux. Retarder le déconfinement dans la grande région de Montréal n’est donc pas trop coûteux électoralement parlant, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des autres régions du Québec.
Il importe aussi de rappeler que la plupart des acteurs du secteur privé se réjouissent de la réouverture de l’économie québécoise et ont applaudi la volonté du gouvernement de remettre 500 000 Québécois·es au travail, même si cela implique de faire volte-face et de demander aux enseignant·e·s de 60 à 69 ans de retourner en classe afin de s’assurer que les parents des élèves puissent aller travailler. Qui plus est, certain·e·s représentant·e·s de ce secteur affirment que, lorsque les commerces rouvriront, « il faudra s’assurer qu’on ne les referme pas à nouveau » et qu’il n’est donc pas envisageable « de faire du stop-and-go ». Comme le parti de François Legault est très proche des milieux économiques, on peut penser que de telles déclarations ont résonné au sein du gouvernement caquiste. La fameuse « balance des inconvénients » souvent invoquée par le premier ministre ne saurait être purement objective : la valeur accordée aux différents éléments comptabilisés dans cette balance est principalement de considération politique et non scientifique.
La santé publique et l’état d’urgence sanitaire
Plusieurs questions concernant l’indépendance de la santé publique par rapport au gouvernement en place commencent à être posées dans l’espace public. Ces questions sont légitimes, mais font abstraction d’un élément essentiel : le politique n’a pas besoin de l’accord de la santé publique pour prendre des décisions en temps de crise. En effet, la Loi sur la santé publique permet au gouvernement d’ordonner par décret « toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population ». Et ce, même si François Legault assure sa « docilité » face au Dr Arruda.
En revanche, ce transfert de responsabilités décisionnelles envers la santé publique peut se révéler fort utile si jamais un reconfinement généralisé devait avoir lieu. Cela permettrait au gouvernement de se « laver les mains » quant à une nouvelle fermeture de l’économie québécoise, la santé publique ayant été fictivement érigée en décideur de dernière instance dans la province. Mais pour qu’un reconfinement ait bel et bien lieu, encore faut-il qu’il soit envisageable une fois le déconfinement complété. Considérant ce qui a été énoncé dans le présent billet, il est normal de demeurer sceptique face à une réelle possibilité de recul de la part du gouvernement.