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50 ans de la Loi sur l’assurance maladie — Une bataille inachevée

1 novembre 2020

  • Anne Plourde

Il y a exactement 50 ans, soit le 1er novembre 1970, la Loi sur l’assurance maladie entrait en vigueur. Le Québec devenait ainsi la dernière province à adhérer au programme mis en place par le gouvernement fédéral cinq ans plus tôt, lui-même à la remorque de la plupart des autres pays occidentaux. Si la pandémie actuelle nous rappelle l’importance d’un accès universel à des services de santé de qualité, elle démontre également que les luttes ayant entouré la mise en place de l’assurance maladie demeurent aujourd’hui inachevées.

Plusieurs facteurs expliquent le retard du Québec, parmi lesquels figure la résistance farouche de quatre catégories d’acteurs : les élites politiques (tant libérales que conservatrices), l’Église (en particulier les communautés religieuses hospitalières, qui craignent la mainmise de l’État sur les services qu’elles dispensent), le milieu des affaires (patronat et industrie des assurances) ainsi que les médecins (qui veulent par-dessus tout éviter une « socialisation » de la médecine).

Alors qu’une assurance maladie publique et universelle est revendiquée par une partie du mouvement syndical dès la fin des années 1910, une telle mesure ne sera pas à l’ordre du jour politique avant le début de la Grande Dépression.

La Commission des assurances sociales du Québec (commission Montpetit, 1930-1933) est alors créée. Elle recommandera au gouvernement de laisser aux nouvelles assurances collectives privées le temps de faire leurs preuves.

Comme l’ont montré les travaux d’historiens de la santé tels que François Guérard, Yvan Rousseau et Martin Petitclerc, les assurances collectives privées, qui se développent à cette époque et se posent en alternative à l’assurance maladie étatique, sont issues d’une alliance entre les administrations hospitalières, l’industrie des assurances et le patronat, et elles sont promues par des hommes politiques et personnalités publiques tels qu’Alexandre Taschereau, premier ministre de la province, et Édouard Montpetit, président de… la commission Montpetit.

Hôpitaux déficitaires et pression populaire

Ces « innovations assurantielles » prouveront qu’elles sont incapables d’offrir des tarifs accessibles à la majorité de la population, qui continue de recourir aux services hospitaliers sans pouvoir en payer les coûts, creusant des déficits de plus en plus intenables pour les hôpitaux. Parallèlement, la pression populaire en faveur d’une assurance maladie étatique s’accroît considérablement, le mouvement syndical en faisant son principal cheval de bataille à partir des années 1950. Le milieu des affaires et les médecins spécialistes continuent pour leur part à s’y opposer, notamment par le biais des mémoires qu’ils soumettent devant la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social (commission Castonguay-Nepveu, 1967-1973), qui recommandera néanmoins la création d’une assurance maladie publique.

Des moyens plus radicaux seront aussi tentés : les médecins spécialistes tiennent une grève pendant deux semaines complètes en pleine crise d’Octobre pour empêcher l’entrée en vigueur de la Loi de l’assurance maladie, adoptée à l’unanimité au mois de juillet précédent.

Cette grève est probablement la seule de l’histoire du Québec à avoir reçu l’appui du milieu des affaires. En effet, à deux reprises en novembre et en décembre 1970, la Fédération des chambres de commerce du Québec condamne vigoureusement la loi spéciale forçant le retour au travail des spécialistes adoptée le 15 octobre.

Le combat d’arrière-garde mené par les forces conservatrices de la province n’aura pas réussi à empêcher l’adoption d’une assurance maladie étatique au Québec, même s’il est parvenu à la retarder et à en limiter la portée. Plusieurs services médicalement nécessaires restent exclus de la couverture offerte par le régime public (santé mentale, dentisterie, ophtalmologie, etc.). Et malgré sa prétention à l’universalité, ce régime ne s’étend pas aux personnes sans statut, violant ainsi les traités internationaux qui reconnaissent l’accès à ces services comme un droit de la personne fondamental.

À l’exception du clergé, ce sont aujourd’hui les mêmes forces sociopolitiques qui résistent à l’extension des services couverts et à leur pleine intégration dans le secteur public. Reste à voir si le choc de la pandémie, qui a révélé toutes les vulnérabilités du système sociosanitaire québécois, créera un contexte favorable à de nouveaux développements.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 1e novembre 2020 de La Presse+.

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