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Soutien à domicile: éviter les erreurs de la privatisation et de la tarification

8 mai 2024

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La Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) publiait en janvier dernier le quatrième et dernier tome de son rapport sur la performance des programmes gouvernementaux en soutien à domicile (SAD). Nous partageons certains constats contenus dans ce rapport, dont celui d’une insuffisance des services offerts et de la nécessité d’opérer un virage majeur vers le SAD. Alors que se tient cette semaine le Rendez-vous national sur le maintien à domicile, auquel participe la Commissaire, il nous semble toutefois important de soulever des préoccupations quant à deux orientations problématiques du rapport: l’ouverture à une privatisation accrue de l’aide à domicile et la recommandation d’une tarification de ces services pour les usagères et les usagers.

Cette publication a été réalisée dans le cadre du LaRISSS.

Une absence d’examen critique des effets de la privatisation

Alors que les services professionnels à domicile (soins infirmiers, services psychosociaux, etc.) restent largement dispensés par le personnel du secteur public, les services d’aide à domicile (aide domestique et assistance à la personne) ont connu depuis 2003 un processus de privatisation accéléré au Québec. Selon les données les plus récentes dont nous disposons (mars 2022), seules 14% des heures de services d’aide à domicile de longue durée financées par les établissements publics (CISSS et CIUSSS) sont désormais dispensées par le personnel de ces établissements. Le reste est externalisé vers divers types de prestataires privés employant du personnel précaire, en majorité des femmes et, dans les grandes villes, des migrantes (agences de placement, résidences privées pour personnes aînées, Chèque emploi-service, entreprises d’économie sociale).

Le rapport de la CSBE reconnaît certains des problèmes qui découlent de cette privatisation, dont la multiplicité et l’instabilité des intervenants auprès des usagères et usagers et le manque de coordination et de cohérence des services. Malgré ces constats, le rapport ne remet aucunement en cause la place du privé dans l’aide à domicile. Au contraire, il en recommande le renforcement.

Cette absence d’examen critique des effets de la privatisation laisse dans l’angle mort du rapport de la CSBE des enjeux pourtant cruciaux pour l’avenir du SAD au Québec. Ici et ailleurs, les études scientifiques montrent que, dans le SAD comme dans d’autres types de services basés sur le travail de soins, les conditions de travail ont des effets sur la qualité des services (de meilleures conditions s’accompagnent d’une meilleure qualité), et la privatisation des services détériore les conditions de travail. Or, le rapport de la CSBE, qui avait pour mandat d’évaluer la « performance » du SAD, ne contient aucune évaluation des conditions de travail et de la qualité des services offerts par les nombreux prestataires privés d’aide à domicile ni aucune comparaison de leur « performance » sur ces deux plans avec les établissements publics.

Tarification: une conception étriquée de l’aide à domicile

Par ailleurs, le rapport de la CSBE déplore qu’il n’y ait pas eu « de débat public quant à la couverture des services [à domicile] qui sont offerts sans frais à toutes personnes en perte d’autonomie ». Pourtant, elle ne propose pas qu’un tel débat ait lieu. En se basant sur des consultations faites auprès d’un forum composé de 24 citoyens, citoyennes et spécialistes ainsi que sur un sondage en ligne non probabiliste, dont les conclusions ne peuvent évidemment pas être généralisées à l’ensemble de la population du Québec, elle recommande plutôt, à court terme, « que le gouvernement impose une contribution des usagers de l’aide à domicile financée par les services publics aux personnes en fonction de leurs moyens. ».

Une telle posture ne peut être défendue que si l’on conçoit les services d’aide à domicile comme étant « à part » des autres services sociosanitaires, une conception pour le moins étriquée de l’aide à domicile. Dans les faits, le SAD, incluant l’aide à domicile, fait partie intégrante du continuum des services sociaux et de santé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle sa responsabilité a été confiée aux CLSC lors de l’adoption de la première politique de SAD en 1979. C’est aussi la raison pour laquelle la politique de 2003 prévoyait que les services d’aide à domicile devaient être offerts gratuitement aux usagères et aux usagers dont les besoins sont attestés par une évaluation professionnelle.

Au Québec, le principe de gratuité des services sociosanitaires est défendu comme une condition de réalisation des droits à la santé et à l’égalité depuis des décennies, notamment par les organisations syndicales et de défense des droits des personnes en situation de handicap, des aînés, des femmes et des personnes migrantes. La population est également très attachée à ce principe de gratuité comme l’a montré son opposition, en 2010, au projet de « ticket modérateur » du gouvernement libéral de l’époque ainsi qu’à la taxe santé, finalement abolie en 2016. 

Alors qu’un virage majeur vers le SAD est incontournable et urgent au Québec, il est crucial que celui-ci ne se fasse pas au prix d’une détérioration des conditions de travail et au détriment de l’accessibilité et de la qualité des services.

Ce billet est d’abord paru sous la forme de lettre dans l’édition du 8 mai 2024 du journal Le Devoir.

Une réalisation du LaRISSS

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