PL106 – Les médecins de famille du Québec travaillent-ils suffisamment?
30 mai 2025
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Un des éléments centraux du projet de loi 106 déposé récemment par le ministre de la Santé, Christian Dubé, est de lier une partie de la rémunération des médecins de famille à des indicateurs de performance. Selon le gouvernement, cette mesure est nécessaire parce qu’une trop grande proportion des omnipraticien·ne·s travaille à temps partiel et ne contribue pas suffisamment à résoudre les problèmes d’accès à la première ligne. Est-il vrai que les médecins de famille québécois·es ne travaillent pas assez? La solution aux problèmes d’accès se trouve-t-elle vraiment dans l’imposition de mesures de performance? Voici le deuxième d’une série d’articles visant à analyser différents enjeux liés à ce projet de loi.
Dans ce dossier comme dans bien d’autres touchant les services publics, le gouvernement adopte une approche directement inspirée de la nouvelle gestion publique, qui prétend mesurer « l’efficacité » et la « performance » des services publics par des mesures essentiellement quantitatives. Dans les faits, les mesures du « volume » de services donnés par les médecins de famille du Québec tendent à donner raison au gouvernement et à suggérer qu’ils et elles ne sont pas très « productives ».
Cependant, comme c’est souvent le cas avec les approches purement quantitatives et managériales, les données sur lesquelles s’appuie le gouvernement pour affirmer qu’une proportion importante des médecins travaillent à temps partiel ont des angles morts qui ne permettent pas de rendre compte de certaines particularités de la pratique médicale au Québec. Au contraire, des données qui tiennent compte de la dimension qualitative des soins suggèrent que l’explication de la moins bonne « performance » quantitative des médecins se trouve peut-être ailleurs et que l’avenue choisie par le gouvernement pour résoudre les problèmes d’accès n’est probablement pas la meilleure.
Le Québec en queue de peloton pour la quantité de services des médecins de famille
Les résultats pour le Canada d’une enquête internationale menée auprès des médecins de famille en 2019 montraient que sur 10 provinces, le Québec était alors au dernier rang pour le nombre médian de patient·e·s vu·e·s au cours d’une semaine de travail typique, loin derrière la province à l’avant-dernier rang. Cependant, ces comparaisons ne tiennent pas compte du fait qu’une part importante des médecins de famille du Québec sont dans l’obligation de consacrer une partie de leur pratique à des « activités médicales particulières », notamment à l’hôpital et en CHSLD, ce qui réduit le temps qu’ils et elles peuvent passer en cabinet à recevoir des patient·e·s.
Néanmoins, lorsqu’on compare le Québec avec l’ensemble du Canada pour le nombre de services médicaux offerts par les médecins de famille en incluant ceux donnés en deuxième ligne ou à l’extérieur de leur cabinet, on constate que, de manière générale, les médecins de famille du Québec « performent » beaucoup moins bien que la moyenne canadienne (graphique 1). En fait, alors que les médecins de famille sont plus nombreuses au Québec que dans la majorité des provinces et territoires, le Québec se situe dans les derniers rangs pour le nombre de consultations et de visites, pour le nombre d’interventions et pour le nombre total de services par 100 000 habitant·e·s offerts par les médecins de famille.
Précisons que ces données n’incluent que les services qui sont rémunérés à l’acte et excluent ceux qui sont rémunérés par capitation et à salaire. Ceci a pour effet de gonfler le nombre de services offerts au Québec en comparaison du reste du Canada puisqu’il s’agit d’une des provinces où la rémunération à l’acte occupe la plus grande proportion de la rémunération totale des médecins de famille, soit 72,6 %.
Trop de médecins à temps partiel?
Le gouvernement explique cette plus faible « productivité » quantitative des médecins de famille québécois par le fait qu’une plus grande proportion d’entre eux et elles travailleraient à temps partiel. Or, les données disponibles permettent difficilement de parvenir à une conclusion claire à ce sujet.
À titre indicatif, mentionnons d’abord que 18,5 % de l’ensemble des travailleuses et des travailleurs québécois·es occupent un emploi à temps partiel au Québec, c’est-à-dire un emploi pour lequel on travaille habituellement moins de 30 heures par semaine. Les médecins étant principalement rémunéré·e·s à l’acte plutôt qu’à l’heure, il est difficile de trouver des données comparables, d’autant plus que les données disponibles comportent toutes des angles morts importants.
Ainsi, l’enquête internationale citée ci-dessus nous apprend que c’est au Québec que se situe la plus grande proportion de médecins de famille qui disent passer moins de 35 heures par semaine dans leur cabinet (29 % contre une moyenne de 18 % pour le Canada). C’est aussi au Québec que se trouve la plus faible proportion de médecins qui affirment y passer plus de 45 heures par semaine (44 % contre une moyenne de 55 %).
Rappelons toutefois que ces données ne tiennent pas compte des activités médicales particulières (AMP) que doivent faire les médecins de famille du Québec à l’extérieur de leur cabinet. De plus, bien que la proportion de médecins passant plus de 45 heures en cabinet soit plus faible qu’ailleurs au pays, c’est tout de même près de la moitié des médecins de famille québécois·es qui disent travailler dans leur cabinet durant un nombre d’heures supérieur à la semaine normale de travail, définie à 40 heures au Québec.
En se basant sur la rémunération à l’acte, qui inclut les paiements faits à l’extérieur du cabinet, une étude récente calcule que 26 % des médecins de famille du Québec travaillent 3 jours ou moins par semaine et moins de 125 jours par année si on compte comme des journées de travail toutes celles durant lesquelles au moins une facture est émise. Encore une fois, cette mesure est imparfaite puisqu’elle exclut le travail rémunéré par d’autres modes de rémunération, tels que la capitation ou la rémunération horaire, qui représentent tout de même près de 30 % des paiements cliniques reçus par les médecins.
L’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) propose une autre mesure qui inclut tous ces modes de rémunération, mais qui ne tient compte que des « paiements cliniques », ce qui exclut les paiements pour des tâches non cliniques telles que les tâches administratives et la formation. Sur cette base, l’ICIS calcule qu’il y a l’équivalent de 7445,68 médecins de famille à temps plein au Québec, ce qui représente 71,7 % du total des médecins de famille.
Le graphique 2 montre qu’à cet égard, le Québec se situe sous la moyenne canadienne, mais qu’il est davantage en milieu qu’en queue de peloton parmi les provinces. Cependant, puisque ces données sont elles aussi incomplètes et qu’elles ne tiennent pas compte des tâches non cliniques, les différences entre provinces pourraient s’expliquer par des tâches administratives plus ou moins lourdes, et non seulement par des différences dans l’intensité du travail des médecins.
Bref, ce tour d’horizon des données disponibles sur le travail à temps partiel des médecins de famille du Québec ne nous permet pas de conclure s’ils et elles font mieux ou pire que les médecins du reste du Canada, ou que la population québécoise en général.
La rémunération liée à la performance est-elle vraiment une solution?
Les données présentées dans la première section montrent que les médecins de famille québécois·es offrent un volume de services médicaux nettement inférieur à celui qu’on observe dans le reste du Canada. Quant aux données présentées dans la deuxième section, elles tendent à montrer que le Québec est plutôt en milieu de peloton des provinces pour le nombre de médecins de famille qui travaillent à temps partiel. Sur cette base, il est difficile de conclure que le volume de services médicaux inférieur constaté au Québec s’explique principalement par un nombre trop élevé de médecins ayant choisi de travailler à temps partiel. On remarque par exemple que certaines provinces ayant un taux d’ETP inférieur à celui du Québec offrent néanmoins un nombre de services par 100 000 habitant·e·s plus élevé.
En fait, des données qualitatives suggèrent que la moins bonne « performance » quantitative des médecins de famille du Québec s’explique au moins en partie par le fait qu’ils et elles consacrent plus de temps avec chaque patient·e, ce qui réduit évidemment leur capacité à offrir un grand volume de consultations. En effet, dans l’enquête internationale mentionnée plus haut, à peine 2 % des médecins de famille québécois·es ont déclaré consacrer en moyenne moins de 15 minutes à chaque visite de routine, contre une moyenne de 28 % pour l’ensemble du Canada. Le Québec est de loin la province où cette proportion est la plus faible. Inversement, c’est aussi la province où la proportion de médecins disant consacrer plus de 25 minutes aux visites de routine est la plus élevée, à 48 % contre une moyenne canadienne de 18 %.
Évidemment, on peut s’attendre à ce que des visites médicales plus longues favorisent des soins de meilleure qualité et une prise en charge plus globale des patient·e·s. Au contraire, si les nouveaux critères de performance que souhaite imposer le gouvernement aux médecins parvenaient à les inciter à produire un plus grand volume de services, cela pourrait se traduire par une réduction du temps passé avec chaque patient·e et une dégradation des services offerts. Autrement dit, on pourrait se retrouver à réduire la qualité pour augmenter la quantité.
L’efficacité de cette solution est d’autant plus douteuse que la rémunération des médecins est déjà étroitement liée à leur performance quantitative. En effet, la rémunération à l’acte, qui demeure le principal mode de rémunération des médecins de famille au Québec, récompense précisément les médecins qui produisent le plus grand volume de services : plus le nombre d’actes augmente, plus la rémunération est élevée. C’est d’ailleurs l’argument principal, voire le seul argument généralement invoqué pour défendre ce mode de rémunération, reconnu par ailleurs pour ses multiples effets pervers, notamment en termes de qualité et de pertinence des services.
Force est de constater que, jusqu’à maintenant, le choix de lier la rémunération des médecins à leur performance quantitative n’a pas permis d’améliorer l’accès aux services. En fait, une vaste étude a démontré en 2018 que, de manière générale, les multiples tentatives d’orienter la pratique des médecins par l’entremise d’incitatifs ou de pénalités de type financier n’ont donné aucun résultat significatif. Une mise à jour récente de cette étude conclut que les augmentations de rémunération consenties aux médecins québécois·es au cours des dix dernières années ne se sont pas traduites par une augmentation du volume moyen de services par médecin, qui est resté stable dans le cas des médecins de famille (et qui a même diminué dans le cas des médecins spécialistes).
Les solutions sont donc ailleurs. Mais pour les trouver, il faut d’abord identifier les vrais problèmes. C’est ce que nous proposons de faire dans la suite de cette série d’articles.
Comment se fait-il que les gouvernements doivent donner des subventions et des rabais fiscaux à l’entreprise privée alors que celle-ci le concurrence ouvertement?
Je soumets que toute entreprise privée qui concurrence un gouvernement dans quelque domaine que ce soit ne devrait avoir droit à aucune forme d’aide ou de rabattement fiscal quel qu’il soit de la part de ce gouvernement.
Il serait plus facile de gérer un monopole ou personne ne peut concurrencer l’État, j’en conviens.
Cependant, il faudrait que la gestion des deniers publics qu’en fait l’État soit sous une surveillance bien plus serrée et efficace que ce que nous avons eu jusqu’à ce jour.