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Un registre des loyers comme expérience pour une stratégie sociale de développement numérique

8 août 2023

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5min


Récemment, les maires de 14 municipalités ont réclamé, par le biais d’une lettre ouverte, l’instauration d’un registre des loyers. Cet appel a été soutenu par différents groupes d’experts. Au-delà des politiques de logement, cet appel en faveur d’une réduction d’une asymétrie informationnelle conduit à repenser les potentiels sociaux et économiques des stratégies publiques du numérique. 

Il faut savoir que l’appel municipal à l’information surgit dans un contexte où la création de données publiques et leurs accès s’accélèrent. Leur ouverture fait partie d’une stratégie de développement économique poursuivie depuis déjà plus de dix ans par différents paliers gouvernementaux qui cherchent à stimuler l’économie numérique, à travers des secteurs comme l’intelligence artificielle. Alors que le gouvernement du Québec vient de mettre en place des balises législatives facilitant l’accès aux données de santé pour le secteur privé, les réticences actuelles face à la création d’une source d’informations fiables et accessibles pour les locataires de la province et les responsables de la régulation forcent à évaluer les intérêts qui prévalent au sein des stratégies de données ouvertes. 

Au-delà des prouesses technologiques que les données permettent d’accomplir et des horizons de croissance économique auxquels elles sont associées, ces outils ont aussi un potentiel pour des expériences communautaires. Les politiques d’ouverture des données, si elles sont réfléchies d’abord pour les plus vulnérables, pourraient rééquilibrer certains rapports de force. Dans le cas du logement, créer une base de données et l’exploiter grâce à des systèmes algorithmiques ou d’intelligence artificielle pourrait servir à pallier l’actuelle asymétrie informationnelle qui, à ce jour, avantage presque exclusivement les propriétaires immobiliers. Ainsi, les gouvernements municipaux qui réclament en ce moment un registre des baux misent sur une mesure efficace puisque les inégalités de production, d’accès et d’utilisation des données numériques participent activement à la crise du logement actuelle. 

Les propriétaires d’immeubles locatifs  ont accès à un ensemble croissant de données, d’outils et de services qui leur procurent des avantages certains non seulement dans les relations propriétaires-locataires, mais aussi dans la valorisation de leurs biens. Dans le cadre de la relation avec les locataires, les propriétaires ont entre autres accès aux enquêtes de prélocation (enquête de crédit et antécédents judiciaires, par exemple). Le recours à l’information qui protège les locateurs et locatrices est accepté malgré que les enquêtes de prélocation se soient révélées discriminantes dans l’accès au logement. Pour les propriétaires, l’information est également un élément central de maximisation de leurs investissements. Les plateformes de location de courte durée comme Airbnb en sont un bon exemple puisqu’elles publicisent les logements tout en informant les propriétaires sur la fluctuation périodique des prix locatifs, leur permettant de s’ajuster rapidement selon les tendances du marché. 

Quant aux locataires, l’accès aux informations utiles pour faire valoir leurs droits se révèle plus complexe. Alors que les hausses de loyer sont régulées, rien ne force les propriétaires à diffuser les prix de location des baux précédents. Aucune information préalable ne permet non plus au locataire de s’assurer ou de défendre son droit à un logement sécuritaire et salubre. Pour contester une hausse de loyer, les locataires doivent aussi se fier aux calculs produits par leurs propriétaires à moins de faire une demande officielle auprès du Tribunal administratif du logement. Le logement a-t-il déjà passé de longues périodes sans eau ou sans électricité ? Le propriétaire est-il souvent passé devant le Tribunal administratif du logement ? De telles informations rendues publiques et facilement accessibles avertissent les locataires quant à la réactivité des propriétaires ou son historique de conflit. Dans d’autres villes, les registres des loyers ont déjà démontré leur efficacité à titre de mesure de contrôle des loyers en assurant à la fois l’abordabilité des logements et l’entretien des immeubles.

Dans une perspective de développement urbain, la mise en œuvre d’un registre des loyers servirait aussi de contrepoids face à l’augmentation des inégalités socioéconomiques dans le sillage de politiques favorables à l’économie numérique en représentant un autre pan de ses impacts. Par exemple, les investissements publics et privés réalisés dans le secteur montréalais de Marconi-Alexandra, où se côtoient désormais des laboratoires informatiques, de jeunes pousses d’intelligence artificielle et de grandes entreprises du numérique comme Microsoft, ont eu un impact important sur la disponibilité de logements abordables dans des quartiers comme Parc-Extension et La Petite-Patrie. Pour les autorités locales, l’embourgeoisement et la hausse de la valeur immobilière sont perçus comme un signe positif de réussite tant qu’il ne dispose pas d’information lui permettant de rendre compte de la réalité vécue par les personnes a priori exclues des ambitions contenues dans les stratégies numériques.

Un registre des loyers accompagné de lois et de services adéquats pourrait servir les locataires, les groupes de défense des droits au logement tout comme les régulateurs en les informant sur les fluctuations de prix dans les secteurs affectés par l’embourgeoisement et les locations court-terme (Airbnb) ou permettrait de connaître précisément les variations dans l’offre de logements afin de mieux cibler les mesures à mettre en place. Il est entre autres facile d’imaginer des algorithmes qui détecteraient automatiquement les variations de prix inhabituelles. Un tel outil pourrait permettre de renverser le rapport de pouvoir en obligeant les propriétaires à justifier leurs actes plutôt qu’aux locataires à défendre leurs droits. Avec la crise du logement, les gouvernements se trouvent devant une occasion de repenser les stratégies numériques sous l’angle de l’asymétrie informationnelle et de ses conséquences matérielles sur les ménages. À l’heure où les bénéfices sociaux et économiques de l’intelligence artificielle suscitent de plus en plus de doutes et que l’absence de stratégie en ce sens devient plus évidente, les gouvernements se doivent de mettre en œuvre des initiatives numériques originales par lesquelles l’information pourrait servir à une meilleure répartition des ressources.

Yannick Baumann est doctorant à l’Université de Montréal et membre du Collectif de recherche-action sur l’Habitat (CRACH)

Alex Megelas est coordonnateur à l’Institut d’IA appliqué de l’Université de Concordia

Myriam Lavoie-Moore est chercheuse à l’IRIS

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2 comments

  1. Un registre des loyers?
    Alors que les loyers sont devenu une marchandise qui subit la pression de la spéculation, on pense régler le problème avec encore plus de bureaucratie?

    Il suffit pourtant d’instaurer le concept des biens premiers et de s’assurer que le logement en fait partie.

    Malheureusement, la finance et le commerce ont pris le contrôle de la planète depuis au moins le début des années 1980 et les lois ont tranquillement été modifiées pour en leur faveur, au détriment des peuples du mondes qui, depuis, subissent la dépossession.

    Quand 4 individus possèdent plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité, il est clair que le supposé partage de la richesse ne se fait clairement pas.

    Merci à Reagan et Tatcher!

  2. Toutes ces informations sont pertinentes…Je suis particulièrement interpellée puisque je suis membre fondatrice d’une coopérative qui a du cœur et de la sensibilité à la cause de l’inclusion. Aîné.e.s, familles, personnes en situation de handicap, diversités sociales et culturelles cohabitent. Le tout donne un communauté riche et à l’échelle humaine. Pour toutes ces raisons, il faut PLUS DE COOPÉRATIVES EN HABITATION.

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