Regards sur la CAQ: Un plan sans vision sur l’immigration et l’intégration
15 octobre 2011
Récemment François Legault lançait les propositions de la Coalition pour l’avenir du Québec relatives à la culture et la langue. Inclus dans cet amalgame de sujets et de thématiques dont on ne comprend pas toujours les liens, se retrouve sa vision sur l’immigration au Québec. Dans son analyse, François Legault fait preuve d’un simplisme déconcertant et d’une méconnaissance flagrante du dossier de l’immigration. Pour faire face aux obstacles que vivent un certain nombre de nouveaux arrivants (souvent francophones) dans leur intégration socio-économique au Québec, il suggère principalement :
- de réduire immédiatement les niveaux d’immigration pendant 2 ans de 54 000 à 45 000 personnes par année.
- d’injecter de l’argent neuf dans la francisation et les mesures d’intégration.
La planification de l’immigration ne s’improvise pas
Ce qu’il ne semble pas saisir, c’est que la planification des niveaux d’immigration, lorsque c’est fait sérieusement, est un processus complexe, de longue haleine. Une fois la sélection des candidats lancée, c’est comme un gros paquebot, ça prend du temps à ralentir, à arrêter et à redémarrer. Si on interrompe ou on réduit la sélection aujourd’hui, la baisse se fera sentir d’ici 2 ans et ça prendra au moins deux ans par la suite pour relancer la machine. Actuellement, on peut évaluer à au moins 50 000 à 80 000 le nombre de certificats de sélection en circulation, de personnes déjà sélectionnées par le Québec qui sont dans le système et qui s’installeront au Québec ces prochains mois et années.
Se priver d’immigration est un risque économique énorme qui hypothéquera sans aucun doute le développement socio-économique du Québec à long terme alors que l’immigration continuera à croitre rapidement dans le reste du Canada comme dans les pays du Nord. La compétition est vive.
L’argent n’est pas le problème
Budgétairement parlant, François Legault aurait besoin d’un cours de rattrapage pour mieux saisir le cadre budgétaire des mesures d’intégration et de francisation des nouveaux arrivants accueillis par le Québec. Avec l’Accord Canada-Québec sur l’immigration conclu en 1991, le Québec est assuré de recevoir au moins 258 millions $ par année de compensation financière du Fédéral dédiée à l’intégration des immigrants, à cela se rajoute des revenus annuels d’environ 70 millions $ de la poche des immigrants en frais et taxes pour immigrer; sans même parler des revenus générés par les immigrants investisseurs et de l’apport économique à court terme de la majorité des immigrants et réfugiés à titre de travailleurs et de consommateurs.
Tableau 1: Aperçu de l’évolution budgétaire du Ministère de l’immigration et des communautés culturelles (MICC) depuis 1998 en matière d’immigration, d’intégration, de francisation et de régionalisation selon les états financiers vérifiés du gouvernement du Québec et autres rapports gouvernementaux
Année financière | Immigrants admis au Québec (par année civile) | Revenus nets du transfert fédéral pour l’intégration des nouveaux arrivants | Dépenses totales du MICC pour la mission immigration, intégration, francisation et communautés culturelles | Soutien financier du MICC à l’action communautaire |
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1998-1999 | 26 509 pers. | 101 452 000 $ | 102 000 000 $ | 10 138 755 $ |
1999-2000 | 29 214 pers. | 102 910 000 $ | 100 000 000 $ | 9 787 012 $ |
2000-2001 | 32 502 pers. | 104 140 000 $ | 102 000 000 $ | 9 382 358 $ |
2001-2002 | 37 498 pers. | 111 723 000 $ | 125 000 000 $ | 9 972 760 $ |
2002-2003 | 37 618 pers. | 135 734 000 $ | 129 000 000 $ | 9 292 187 $ |
2003-2004 | 39 500 pers. | 164 100 000 $ | 127 000 000 $ | 10 370 366 $ |
2004-2005 | 44 226 pers. | 160 786 000 $ | 120 000 000 $ | 10 948 000 $ |
2005-2006 | 43 373 pers. | 188 353 000 $ | 116 000 000 $ | 8 678 612$ |
2006-2007 | 44 686 pers. | 199 570 000 $ | 125 000 000 $ | 11 945 802 $ |
2007-2008 | 45 201 pers. | 202 364 000 $ | 132 000 000 $ | 11 495 797 $ |
2008-2009 | 45 264 pers. | 218 500 000 $ | 158 000 000 $* | 14 288 334 $ |
2009-2010 | 49 489 pers. | 232 190 200 $ | 166 300 000 $ | 12 955 977 $ |
2010-2011 | 53 981 pers. | 258 400 000 $ | 174 500 000 $ | 16 700 000 $ (estimations) |
2011-2012 | Cible entre 52 400 et 55 000 pers. | 258 400 000 $ (prévisions) | 175 000 000 $ (prévisions) | 15 000 000 $ (estimations) |
* Effets Bouchard –Taylor
Bref, le Québec dispose de près de 330 millions $ de revenus garantis par année pour intégrer et franciser les nouveaux arrivants. Le gouvernement dépense actuellement 300 millions $ par année en programmes et mesures d’intégration et de francisation. L’intégration ne coute donc rien au trésor public québécois. Environ 90% de ces sommes sont dépensées en mesures et programmes par le Ministère de l’immigration et des communautés culturelles (MICC – 145 M $), le Ministère de l’Éducation, des loisirs et du Sport (MELS – 78 M $) et le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS – 75 M $). Quelques 8 à 9% vont à l’action communautaire.
Pour une meilleure gestion des ressources disponibles
François Legault devrait plutôt se poser la question sur ce que le MELS et surtout le MESS (Emploi-Québec) font avec ces sommes et pourquoi le Québec performe moins bien qu’ailleurs en matière d’intégration malgré ces investissements considérables. Réduire le nombre de nouveaux immigrants ne réglera pas la non-performance des instituions québécoises en matière d’intégration et de francisation, il faut revoir notre manière de faire.
Je reste convaincu qu’on pourrait et devrait être en mesure de faire beaucoup plus et bien mieux pour les nouveaux arrivants avec 300 millions $ par année. Il s’agit quasiment du double de ce que dépense les autres provinces pour l’intégration per capita d’immigrants. Injecter de l’argent neuf, comme le propose François Legault ne réglera en rien les difficultés vécues par les nouveaux arrivants, tant que les employeurs québécois publics et privés resteront frileux face à l’embauche de main d’œuvre culturellement diversifiée.