Qu’est-ce que le travail autonome?
12 avril 2013
J’écoutais RDI économie l’autre soir, quand deux dames sont venues présenter leur livre de conseils pour les travailleurs.es autonomes (type de livre qui existait déjà). Je me suis aperçu que la vision qu’elles montrent des travailleurs autonomes (la même que l’autre livre) ne correspond qu’à une tranche minoritaire de ceux-ci. Je me suis donc dit que ce serait bon de faire le point.
Qu’est-ce que le travail autonome?
Il n’existe pas de définition universelle du travail autonome, même si ce statut repose sur la présence de critères bien définis : propriété des outils de production, choix de ses horaires et de ses méthodes de travail, absence de lien de subordination entre le “donneur d’ouvrage” et le travailleur.se, lieu de travail séparé, etc. Cela dit, l’appréciation de ces critères peut varier selon chaque loi.
Évolution du travail autonome
On a souvent l’impression et on entend fréquemment dire que le travail autonome a connu une forte croissance au cours des dernières décennies. Ce n’est pas si clair que ça selon les données de l’Enquête sur la population active…
On peut voir sur le graphique qu’il est vrai que le pourcentage de travailleurs.ses autonomes a fortement augmenté entre 1976 et la fin des années 1990, passant de 10,0 % à 15,4 % (de 11,4 % à 18,5 % chez les hommes et de 7,6 % à 11,7 % chez les femmes), mais qu’il a diminué légèrement par après pour atteindre 13,7 % en 2012 (16,3 % chez les hommes et 10,8 % chez les femmes). Bref, la tendance qui semblait nettement à la hausse il y a une quinzaine d’années s’est depuis étouffée. Avis aux personnes qui prévoyaient la disparition du travail salarié…
Par contre, ce qui demeure vrai est l’augmentation de la proportion de travailleurs.ses autonomes qui n’ont pas d’employés. Alors que ceux-ci représentaient moins de 50 % des travailleurs.ses autonomes en 1976 (48,2 %), ils comptaient pour les deux tiers d’entre eux en 2012 (67,4 %), et même 76,5 % chez les femmes (61,8 % chez les hommes).
Bref, non, le travail autonome n’augmente pas, mais il se vit de façon de plus en plus… autonome!
Par profession
Ce qui m’étonne toujours le plus dans la vision du travail autonome est que l’on s’imagine souvent qu’il s’agit d’une personne dans son sous-sol qui travaille devant son ordinateur dans un emploi précaire, souvent mal payé. Si cette personne existe effectivement, elle ne forme qu’une faible minorité des travailleurs.ses autonomes. Cette vision porte bien des gens à présenter le travail autonome comme un choix en soi, alors qu’il est souvent une conséquence de son orientation professionnelle.
Alors, dans quelles professions trouve-t-on le plus de travailleurs.ses autonomes et les pourcentages les plus élevés? Sont-ce les mêmes pour les hommes et pour les femmes? Pour répondre à ces questions, j’ai consulté le fichier 97-559-XCB2006011 tiré du recensement de 2006.
– en nombre, hommes
- Exploitants agricoles et gestionnaires d’exploitations agricoles : 16 800
- Directeurs, commerce de détail : 13 300
- Cadres supérieurs – production de biens, services d’utilité publique, transport et construction : 10 000
- Conducteurs de camions : 9 900
On est loin des pigistes qui travaillent devant un ordinateur et des emplois précaires! Chez les femmes, alors?
– en nombre, femmes
- Éducatrices de la petite enfance : 13 300
- Coiffeuses : 11 700
- Directrices, commerce de détail : 6100
- Secrétaires (sauf domaines juridique et médical) : 6 100
Encore là, on est loin de l’emploi dans le sous-sol devant un ordinateur! Sauf peut-être pour les secrétaires, mais en fait, elles sont dans cette liste en raison de leur nombre, pas en raison de la fréquence du travail autonome, car seulement 6,1 % des secrétaires l’étaient, moins que la moitié de la moyenne (12,6 %, lors de ce recensement, bien moins que la proportion donnée par l’Enquête sur la population active; mais ça, c’est une autre question…)! Cela dit, il est vrai que ces professions ne sont vraiment pas bien payées.
Regardons maintenant ce que ça donne du côté des professions où on trouve les pourcentages les plus élevés de travailleurs autonomes.
– en pourcentage, hommes
Les six professions (sur 520) comptant au moins 100 travailleurs autonomes où on trouve les pourcentages les plus élevés de travailleurs autonomes (entre 77 % et 93 %) sont dans le domaine de la santé (denturologistes, chiropraticiens, optométristes, dentistes, etc.). Suivent les peintres et sculpteurs (76 %), les constructeurs et rénovateurs en construction domiciliaire (75 %) et les exploitants agricoles (74 %). On voit ici la variété des situations et, encore une fois, la réalité bien différente de l’imaginaire collectif.
– en pourcentage, femmes
Ce sont pour la plupart les mêmes professions que pour les hommes (même les constructrices et rénovatrices et les exploitantes agricoles s’y retrouvent), avec des pourcentages très semblables, mais des nombres en général bien moins élevés. Ah oui, le taux de travail autonome chez les journalistes (comme les auteures du livre mentionné en début de billet) était en 2006 de 18,4 % chez les femmes et de 12,3 % chez les hommes, bien moins élevé qu’on pourrait le penser compte tenu de la visibilité médiatique des pigistes.
Selon l’âge
On présente souvent le travail autonome comme un choix entre ce statut et celui de salarié. On a déjà vu que le choix est souvent lié à la profession visée. Mais il y a plus. C’est souvent une évolution dans une carrière. Par exemple, il est rare qu’un.e avocat.e devienne travailleur autonome dans ses premières années d’exercice. C’est après quelques années d’expérience, après avoir développé une clientèle, qu’il ouvrira son propre bureau ou deviendra associé dans un bureau existant. Il en est de même pour les exploitants agricoles qui acquièrent bien souvent leur propre ferme, bien souvent celle appartenant à leur famille, après plusieurs années d’expérience comme ouvrier agricole.
Même si la trajectoire qui mène au travail autonome varie énormément d’une profession à l’autre (chez les journalistes, la pige est souvent un passage obligé si on veut obtenir un emploi salarié mieux rémunéré dans un grand média) et même d’une personne à l’autre, le graphique qui suit (tiré de la page 88) montre que la prévalence du travail autonome croît directement en fonction de l’âge.
Le travailleur.se autonome est très rare chez les plus jeunes (autour de 3 %), augmente fortement chez les gens d’âge moyen et se retrouve de 8 à 10 fois plus fréquent chez les travailleurs.ses âgés de 55 ans et plus que chez les 15-24. Et il l’est encore plus chez les travailleurs.ses de 60 ans et plus (voir le tableau au bas de la page 22) et de 65 ans et plus (la page 7 de cet autre document montre que la moitié d’entre eux étaient travailleurs.ses autonomes en 2009).
Et dire que j’ai déjà entendu un premier ministre du Québec donner comme exemple des mesures gouvernementales de soutien au travail autonome adoptées afin d’aider les jeunes sur le marché du travail! Et personne n’avait soulevé ce non-sens!
Conclusion
J’espère que cette courte (quand même…) analyse aura permis de voir plus clair et de réaliser qu’il est très difficile et même présomptueux de caractériser le travail autonome. Il réunit en fait des emplois de nature très différente, passant de la culture du sol à la culture du peuple, de la coiffure à la chiropractie, en passant par les soins aux enfants et à la livraison de bières!
Bref, ce qui caractérise le travail autonome, mis à part la hausse de sa prévalence avec l’âge, c’est l’absence de caractéristiques communes! Alors, ce n’est pas un guide que ça prendrait, mais des dizaines adaptés à chaque cas!