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Qu’est-ce que la productivité?

30 octobre 2012


Tout récemment, le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP)  des HEC publiait son Rapport sur la productivité et la prospérité au Québec 2012, faisant une série de recommandations pour améliorer la productivité québécoise. Profitons de l’occasion qui est offerte par la publication de ce rapport pour tenter de mieux comprendre ce qu’est la productivité et, surtout, comment elle est calculée dans nos économies. Que veut-on dire exactement quand on considère que la productivité au Québec est plus basse que celle de l’Ontario ou de la France?

Définition classique

Statistique Canada nous donne une définition très simple de la mesure de la productivité : « La productivité du travail est une mesure du PIB réel par heure travaillée. » C’est donc à dire qu’on prend l’ensemble de ce que l’économie a produit comme activité (le PIB) et qu’on le divise par le nombre d’heures que l’ensemble de la population a travaillé. Nous obtenons alors combien de dollars nous produisons par heure de travail. Pour éviter que l’inflation ne vienne fausser les données, on utilise le PIB réel et non le PIB nominal.

Ainsi, on peut se lancer dans des comparaisons internationales. Tel pays « produit » plus de dollars par heure travaillée, tel autre moins, etc. Nombre d’économistes vont prétendre que cette donnée est un élément essentiel du développement : en maximisant sa productivité, un pays peu produire plus de choses et remplir plus de besoins en faisant moins d’efforts. Ainsi, selon l’orthodoxie économique, les efforts économisés peuvent être investis en loisirs ou en d’autres productions, ce qui permet au pays de prendre de l’avance sur les pays moins productifs.

L’Arlésienne de l’économie

Un premier problème avec la productivité est que c’est une notion qui est difficilement mesurable par une méthodologie claire et encore plus difficilement comparable d’un pays à l’autre. Ainsi, elle devient un peu l’Arlésienne de l’économie: les économistes orthodoxes en parlent beaucoup, mais on ne la voit vraiment jamais.

Le problème majeur vient du calcul de la production par l’entremise de la monnaie. Comme mentionné plus haut, la productivité se calcule à partir du PIB qu’on divise par le nombre d’heures travaillées. Cela suppose que le montant monétaire du PIB représente réellement la production nationale d’un État. Comme si, par le PIB, l’ensemble des biens produits était simplement transformé en dollars.

Or, c’est d’abord oublier que le PIB comprend plus que la production de produits et de services, mais aussi l’économie financière, dont il serait un peu fou de calculer la « productivité », surtout en « dollars/heure de travail ». Un trader qui, en quelques secondes fait une transaction qui rapporte des millions est soudainement immensément productif. Son travail remplit-il un besoin pour lequel il faudrait être plus ou moins productif? Certains le soutiendront, personnellement j’en doute. Même si on considère son travail utile, sa « productivité » nous est-elle utile pour comprendre l’état de notre économie? On peut en douter plus encore. Se compare-t-elle à la productivité d’un danseur ou d’une ingénieure? Il est pratiquement impossible de le soutenir. Le trader n’est pas un exemple anodin, l’économie financière prend un espace grandissant dans nos économies.

Autre problème avec la productivité, quand des comparaisons sont faites avec d’autres pays, c’est oublier que les produits ne sont pas vendus au même prix partout. Ainsi, je peux être très productif pour faire une voiture que je revends très peu cher et j’apparaîtrai moins productif que celui qui fera moins efficacement une voiture qu’il vendra très cher. Comme le signale ce billet de blogue, si demain matin les prix des voitures augmentent, les heures de travail seront soudainement plus productives, sans que le processus de production n’ait changé d’un iota. On voit ici toute l’influence que des secteurs comme le marketing peuvent changer à la « productivité » supposée d’un pays.

Enfin, rappelons que tous les secteurs où il n’y pas d’échange d’argent sont considérés de facto comme ayant une productivité nulle. Il en va ainsi pour l’agriculture de subsistance comme pour les zones (encore) gratuites des services publics. Selon cette logique, un médecin privé qui tue son patient après 10 mois de traitements est donc beaucoup plus productif qu’un médecin public qui le sauve en 15 minutes. Donc un pays avec un plus gros secteur public sera de facto désavantagé dans ces calculs, non pas parce que le secteur public est moins efficace, simplement parce que le produit de son travail n’est pas calculable.

La bonne question?

En fait, la notion de productivité pose un regard assez candide sur l’économie. Elle considère que l’objectif des principaux acteurs de l’économie est de produire des biens en fonction des besoins de la population et qu’on tente de le faire en s’astreignant au moins d’heures de travail possible. D’où le fait qu’on se préoccuperait de productivité, pour remplir le plus efficacement possible les besoins de la population.

Or, dans notre système économique, le but des acteurs est d’abord de faire de l’argent. S’ils peuvent faire de l’argent en remplissant un besoin social, tant mieux, mais ils peuvent très bien, en lieu et place, créer des besoins dans le but de faire de l’argent. S’accumulent alors une activité économique et une « production » de dollars qui n’ont pas tant de lien, ni avec notre travail, ni avec nos besoins.

Si l’Arlésienne de la productivité est à la fois si dure à voir et si centrale à la pensée économique, c’est peut-être qu’elle fait tenir ensemble le mythe fondateur de notre économie (la réponse aux besoins sociaux) et sa bien distincte application dans notre réalité quotidienne (la multiplication de l’argent pour l’argent).

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