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Projet de loi 61 : contourner des règles plutôt que de relancer

8 juin 2020

  • Bertrand Schepper

Mercredi dernier le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, présentait un projet de loi omnibus sur la relance de l’économie québécoise en réponse au ralentissement causé par la pandémie de COVID-19. L’objectif du projet de loi 61 est d’accélérer la réalisation d’un peu plus de 200 projets prévus au Plan québécois des infrastructures. Le projet de loi prévoit pour y arriver de suspendre certaines règles environnementales et d’attribution de contrats publics. Alors que de nombreuses personnalités politiques considèrent qu’un véritable plan de relance devrait au contraire contenir des mesures de protection de l’environnement, il y a lieu de s’inquiéter du message que lance le gouvernement avec ce nouveau plan.

Relance ou accélération des mesures ?

Le projet de loi 61 porte sur des projets que le gouvernement comptait déjà mettre en branle dans les 10 prochaines années (voir annexe 1). En transport, on y trouve de nombreux projets routiers et quelques-uns de transport en commun. En santé, de nombreux projets de rénovation ou de construction de CHSLD, de maison des aînées ou d’hôpitaux sont prévus. Puis en éducation, on compte surtout des projets de rénovation et d’agrandissement d’écoles.

Certes, le gouvernement souhaite aussi favoriser des projets qui permettront d’« accroître l’autosuffisance médicale ou l’autonomie alimentaire du Québec » (p. 6) », et il entend pour ce faire assouplir les règles en vigueur.  Or, le PL61 lui permet surtout d’allouer plus rapidement des fonds déjà budgétés pour construire des infrastructures qui étaient censées répondre à des besoins présents bien avant le commencement de la pandémie.

On peut évidemment se réjouir que ceux-ci soient mis en place rapidement, mais quel en sera le prix ?

Les règles environnementales mises au rancart

S’il est adopté, le projet de loi permettrait au gouvernement de contourner la Loi sur la qualité de l’environnement (p.10), la Loi sur les espèces menacées et vulnérables (p. 11-12), la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (p.12), la Loi sur les Parcs (p.14) et les règles d’aménagement de l’urbanisme (p.14). Cela signifie notamment qu’il pourra construire des infrastructures dans des aires fragiles en passant par un processus d’évaluation environnementale allégé.

Le gouvernement demande en outre aux fonctionnaires du ministère de l’Environnement d’adopter une nouvelle culture « d’’accompagnement des clients » pour la réalisation des projets, ce qui porte à croire qu’il abandonne le rôle de chien de garde qu’il est censé remplir en matière de protection des écosystèmes.

À ce propos, le gouvernement québécois n’est pas le seul à mettre en place ce type de stratégie de relance. On apprenait récemment que le gouvernement canadien n’allait plus soumettre les projets pétroliers sur plateforme à une évaluation environnementale et que celui de l’Alberta avait décidé d’assouplir la réglementation environnementale pour favoriser l’exploitation pétrolière sur son territoire. Même son de cloche du côté des États-Unis, qui a assoupli ses lois visant à encadrer les grands pollueurs.

Afin d’atténuer les impacts de ces projets sur la faune et la flore (p. 11-12), le gouvernement caquiste propose toutefois de verser une compensation monétaire qui servira à la protection ou à la restauration d’habitats floristiques ou encore à l’aménagement d’habitats de remplacement. Or, il reste flou sur la nature des compensations prévues. Une telle approche participe en plus à une forme de monétisation de la nature selon laquelle le gouvernement se trouve à calculer le prix qu’il en coûte pour saccager des milieux naturels. À terme, cela pourrait encourager les grandes entreprises à débourser des sommes importantes d’argent afin de réaliser des projets inacceptables d’un point de vue environnemental.

Bref, en dépit de sa volonté affichée de privilégier une relance verte, le gouvernement de François Legault opte pour une approche qu’il l’assure de revenir en arrière, et il semble à cet égard suivre une tendance toute nord-américaine.

Idem pour l’attribution des contrats

Le PL61 prévoit aussi d’assouplir les procédures entourant l’octroi de contrats publics. Cette proposition tombe bien mal, puisque la vérificatrice générale conclut dans un récent rapport que le Ministère des Transports du Québec (MTQ), qui doit mener plusieurs des projets du plan de relance, a été incapable d’évaluer correctement la valeur des contrats qu’il octroie. Ainsi, 44 % des 2 325 contrats de construction, de services professionnels et de services techniques de 25 000$ et plus octroyés en 2018-2019 et en 2019-2020 ont été surévalués ou sous-évalués de 10 % ou plus.

Par ailleurs, les assouplissements souhaités par le gouvernement ont de quoi inquiéter  puisque le premier ministre a reconnu que les projets d’infrastructures prévus au PL61 ont été répartis en fonction du poids électoral de son parti au Québec. Or, en matière de lutte à la corruption et au favoritisme, il vaut mieux plus de protection que moins.

Comprenons-nous bien, se donner les moyens de relancer l’économie peut être une bonne chose dans les circonstances actuelles. Il est néanmoins inquiétant de constater que la protection de l’environnement et l’équité en matière d’octroi de contrats sont considérées par le gouvernement du Québec comme des obstacles à la sortie de crise. C’est à croire que seules les préoccupations du patronat ont été jugées pertinentes. Et c’est aussi faire preuve d’un manque d’imagination flagrant et chercher à imiter les pires pratiques en Amérique du Nord. En somme, le projet de loi omnibus 61 utilise des moyens du passé pour répondre aux besoins actuels du Québec, puis rate l’occasion d’amener des solutions aux problèmes que nous devrons affronter dans un futur rapproché.

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