Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Réforme Dubé | Quand le privé rime avec listes allongées (1)

7 septembre 2023

Lecture

6min

  • Raphaël Langevin

On apprenait la semaine dernière qu’un nombre record de chirurgies d’un jour et d’examens sont en voie d’être déplacés vers des centres médicaux spécialisés (CMS) privés avec l’objectif de réduire les temps d’attente dans le réseau public de la santé au Québec. Le nombre d’interventions transférées au secteur privé avoisine les 600 000 sur 5 ans, ce qui équivaut à un montant d’environ 500 millions de dollars. Bien qu’il soit théoriquement possible que de tels transferts puissent réduire la longueur des listes d’attente dans le réseau public québécois, plusieurs expériences hors Québec montrent qu’un tel résultat est peu probable. De plus, la littérature scientifique sur le sujet est quasi unanime : augmenter la place du privé en santé risque de miner la qualité des soins, ce qui aura comme double effet d’allonger les files d’attente et d’augmenter les coûts à plus long terme. Ce premier billet d’une série de deux se concentre sur le premier effet, soit l’impact du secteur privé en santé sur les listes d’attente dans le réseau public.

Cette publication a été réalisée dans le cadre du LaRISSS.

Plusieurs récents sondages montrent qu’une majorité de Québécois·es (et de Canadien·ne·s) sont favorables à une plus grande place du secteur privé en santé. Si de tels résultats ont de quoi surprendre à première vue, cela n’est pas étranger au fait que le gouvernement actuel n’a jamais caché son biais favorable envers le secteur privé, notamment dans le secteur de la santé. En présentant constamment le secteur privé comme une solution à l’allongement des listes d’attente dans le réseau public, le gouvernement réussit à augmenter le taux d’appui de la population envers une plus grande place du privé en santé sans avoir à en démontrer les bienfaits. Un petit tour d’horizon de la littérature et des expériences sur le sujet montrent pourtant que les bienfaits du privé en santé sont très faibles, voire négatifs.

Un effet probablement négatif sur les listes d’attente

Tout d’abord, mentionnons que l’Ontario songe aussi à effectuer de tels transferts malgré le fait que cette province possède les listes d’attente les plus courtes au pays pour plusieurs chirurgies électives (non urgentes), telles que le remplacement de la hanche ou du genou, selon les plus récentes données de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). À l’inverse, les provinces qui disposent d’une grande offre privée pour ce type de chirurgies, comme le Québec et l’Alberta, ont des délais pour ce type d’intervention en moyenne beaucoup plus longs que l’Ontario et que la Colombie-Britannique, cette dernière ayant réussi à réduire progressivement la taille de ses listes d’attente entre 2016 et 2021 en augmentant le nombre de procédures médicales effectuées au sein du réseau public.

Si d’autres études montrent qu’il existe des effets bénéfiques du transfert de chirurgies en cliniques privées sur les temps d’attente dans le réseau public, cela risque de ne pas se produire dans le cas du Québec. Pourquoi donc? Car l’incapacité du réseau public à réduire rapidement les listes d’attente pour plusieurs chirurgies n’est ni un problème d’argent, ni un manque d’infrastructures médicales, mais bien une question de main-d’œuvre médicale.

Comme le montrait le chroniqueur de La Presse Francis Vailles le 7 juin dernier, les blocs opératoires au Québec sont inutilisés environ 20% du temps (excluant les soirs et fins de semaine), notamment en raison du manque d’effectifs médicaux dans les hôpitaux publics. On apprenait aussi récemment que la proportion de médecins pratiquant dans le secteur privé vient tout juste de franchir le cap des 3% pour la première fois depuis la création du régime d’assurance maladie au Québec. Par conséquent, il est naïf et dangereux de penser qu’augmenter la demande de soins dans le réseau privé ne va pas réduire l’offre de soins dans le réseau public, risquant ainsi d’augmenter les délais dans le public plutôt que de les raccourcir.

C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé en Alberta de 2018-2019 à 2021-2022, années entre lesquelles le volume de chirurgies effectuées dans les établissements privés a augmenté de 48% pendant que le volume de chirurgies effectuées dans les hôpitaux publics a diminué de 12%. Résultat final? Les temps d’attente pour les chirurgies en Alberta ne sont pas encore revenus à leur niveau prépandémique et sont maintenant parmi les pires au pays (notamment en ce qui concerne les remplacements de la hanche et du genou). Il s’agit du résultat (pourtant prévisible) de la stratégie albertaine visant à prioriser les chirurgies en milieux privés plutôt que d’utiliser les pleines capacités du secteur public, les salles d’opération du réseau public albertain étant inutilisées environ 30% du temps. En résumé, des résultats essentiellement négatifs pour un « modeste » coût de 400 millions de dollars.

Cet effet nul, voire négatif du secteur privé sur les listes d’attente dans le réseau public de la santé est aussi mentionné dans une synthèse de la littérature internationale sur le sujet publiée en 2010. Il y est notamment mentionné que l’achat gouvernemental de capacités médicales en provenance du secteur privé ne présentait généralement « aucun effet sur les temps d’attente dans le réseau public » et que cela « peut même ne pas augmenter les capacités médicales totales si les secteurs privé et public utilisent les mêmes ressources (par ex. : médecins, espaces hospitaliers, etc.). Cela peut aussi augmenter les capacités médicales totales sans toutefois réduire les temps d’attente, notamment par la création d’une nouvelle demande [générée par le secteur privé lui-même] ».

À l’inverse, l’étude stipule que les mesures qui semblent le plus réduire la longueur des listes d’attente incluent l’augmentation des capacités médicales dans le réseau public, l’utilisation plus efficace des capacités médicales existantes et la rémunération incitative afin d’augmenter le volume d’activité (par ex. : bonus, financement ciblé, etc.). Bref, tous des éléments qui sont absents de la dernière mouture de la réforme Dubé sachant que cette réforme en est une (autre) de structure visant (une fois de plus) à concentrer la gestion du réseau de la santé dans les mains de quelques gestionnaires tout-puissants.

Et qu’en est-il de la qualité des soins?

Même si plus de privé en santé au Québec contribuait à réduire les délais dans le réseau public, faudrait-il pour autant aller dans cette direction? En tant qu’ancien gestionnaire dans le secteur privé, le ministre de la Santé doit pourtant savoir qu’il est nécessaire d’évaluer l’effet qu’aura chaque décision importante sur un ensemble d’indicateurs, et non juste sur un seul. Par exemple, même si la longueur des listes d’attente dans le réseau public diminuait en raison des transferts de chirurgie vers le privé, une telle réduction pourrait se faire au détriment de la qualité des soins si les soins offerts dans le secteur privé sont de moins bonne qualité que ceux offerts dans le réseau public. Quelles seraient alors les conséquences  sur les listes d’attente à plus long terme? Et sur les coûts totaux de santé au Québec? Je répondrai à ces questions dans un deuxième billet à paraître prochainement.

Une réalisation du LaRISSS

Icône

Vous aimez les analyses de l’IRIS?

Devenez membre

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

3 comments

  1. – Alors que le privé est de plus en plus financé par l’état, c’est le contraire qui se produit avec le public.
    – Ensuite, on fait de la publicité faisant croire que le public n’est pas bon et que le privé est bien meilleur.
    – Il ne reste qu’à fermer le public pour ensuite autoriser le privé à augmenter ses tarifs comme bon lui semble.

    Une entreprise qui compétitionne l’état ne devrait recevoir aucune forme d’aide de ce dernier.

    Investissons dans la santé via la prévention et non seulement dans le traitement. Un enfant bien instruit sur le fonctionnement de son corps sera encouragé à avoir des habitudes physiques et alimentaires qui résulteront en un adulte en véritable bonne santé durable. Cela réduira la pression sur le système de santé.

    La corollaire sera une pression accrue contre le “junk food” et une demande accrue d’aliments sains.

Les commentaires sont désactivés