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Pour une stratégie de réduction de la pauvreté

9 juillet 2018

  • Eve-Lyne Couturier

On s’attend à ce que Jean-Yves Duclos, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, rende publique bientôt la première stratégie canadienne de réduction de la pauvreté. La prochaine élection fédérale pointe à l’horizon. Le Canada se trouve à un point critique. Dans quelle mesure le gouvernement Trudeau souhaite-t-il véritablement un pays sans pauvreté ?

La force de la nouvelle stratégie, l’importance de ses investissements, l’ambition de ses objectifs, le calendrier du gouvernement pour les atteindre et les mesures pour en évaluer le succès sont autant de facteurs qui détermineront s’il s’agit d’un plan d’action dont les Canadiens et les Canadiennes peuvent être fiers ou s’il s’agit simplement d’autres promesses en l’air.

Les enjeux sont à leur comble. La pauvreté demeure une honte au pays. Même dans les circonscriptions du Québec, qui affichent parmi les taux de pauvreté infantile les plus faibles au pays, plus de 225 000 enfants sont aux prises avec la pauvreté. Malgré la richesse du Canada, 4,8 millions de Canadiens sont en situation de pauvreté et, de ce nombre, 1,2 million sont des enfants. Plus de 850 000 Canadiens ont recours aux banques alimentaires et leur nombre augmente constamment. Plus de 250 000 personnes se retrouvent sans-abri au cours d’une année. Il est déplorable de constater que les personnes autochtones, racisées, immigrantes, âgées, qui ont une incapacité et les familles monoparentales dirigées par une femme sont plus susceptibles que le reste de la population de vivre en situation de pauvreté en raison de la discrimination systémique subie.

Les hommes et les femmes politiques ont bien su adopter des résolutions, mais ils n’ont pas eu la volonté politique d’y donner suite. Au lieu de réduire la pauvreté au cours des trois dernières décennies, on a réduit les impôts et coupé dans les programmes. Les emplois précaires se sont multipliés et on s’est contenté d’investir minimalement dans notre filet social.

À quelques mois du 30e anniversaire de la résolution adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes visant à mettre fin à la pauvreté des enfants en 2000, l’occasion est toute indiquée de mettre en oeuvre un plan fédéral qui ne laissera pour compte aucun enfant, famille ou communauté.

Il y a eu des signes encourageants. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement fédéral a fait de la réduction de la pauvreté infantile une grande priorité, notamment en adoptant l’Allocation canadienne pour enfants (ACE), un programme plus généreux que son prédécesseur. L’ACE est un pas en avant historique dans la lutte du Canada contre la pauvreté, mais ce n’est pas suffisant. Parce que la pauvreté est un phénomène complexe, une politique unique ne peut suffire à l’éradiquer.

À quoi pourrait ressembler la stratégie fédérale de réduction de la pauvreté ? Dans son Budget fédéral alternatif, le Centre canadien des politiques alternatives présente les principales priorités d’une telle stratégie, lesquelles ont été largement appuyées par des groupes de la société civile de l’ensemble du pays.

Une stratégie fédérale globale doit prévoir d’investir dans des ressources et des programmes équitables pour les communautés autochtones, y compris dans les services d’aide à l’enfance et le logement.

Elle doit mieux soutenir les efforts de lutte contre la pauvreté du Québec et des autres provinces et territoires en augmentant les paiements de transfert fédéraux. Le Budget fédéral alternatif prévoit à cet effet 4 milliards de dollars de plus par année. Le financement suffisant et bien administré de services de garde de qualité pour que les parents puissent travailler et se perfectionner est également fondamental. L’ACE et la prolongation du congé parental ne peuvent se substituer à un réseau universellement accessible de services de garde à l’enfance. Les composantes essentielles de la stratégie comprennent également le logement abordable, un régime universel d’assurance-médicaments, un congé parental plus équitable, plus accessible et plus généreux et la création de bons emplois à salaires décents.

Le plan doit également prévoir du soutien au revenu suffisant et accessible. Le gouvernement devrait créer un nouveau pourfendeur de la pauvreté, à savoir un crédit-dignité de 1800 dollars par adulte et enfant en situation de pauvreté. Correspondant à un crédit de TPS supplémentaire, ce crédit-dignité permettrait à quelque 560 000 personnes, dont la moitié sont des enfants, de sortir de la pauvreté. Le financement pour lutter contre la pauvreté est essentiel et on ne peut le reporter au prochain mandat.

Enfin, la stratégie canadienne de réduction de la pauvreté doit être enchâssée dans une loi afin d’assurer une reddition de comptes efficace. Une loi adoptée avant l’élection de 2019 pour déterminer la responsabilité d’une stratégie fédérale de réduction de la pauvreté robuste fera en sorte que la lutte contre la pauvreté demeurera clairement la responsabilité des gouvernements à l’avenir.

C’est le moment pour le gouvernement fédéral de paver une nouvelle voie pour l’avenir et d’adopter une stratégie globale de réduction de la pauvreté fondée sur les droits de la personne, assortie d’objectifs clairs et d’échéanciers précis, enchâssée dans une loi et financée dans le budget fédéral de 2019 ; une stratégie pour mettre fin à la pauvreté d’ici une décennie.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre* dans l’édition du 9 juillet 2018 du Devoir

* La lettre est signée par : Peter Bleyer, directeur général, Centre canadien de politiques alternatives, Eve-Lyne Couturier, chercheure, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, Sid Frankel, professeur agrégé, Université du Manitoba, Martha Friendly, directrice générale, Childcare Resource and Research Unit et Anita Khanna, coordonnatrice nationale, Campagne 2000.
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