Pokémon stop
28 juillet 2016
Le trafic s’atténue, les horaires des bibliothèques sont réduits, les répondeurs répètent des messages d’absence, des touristes errent sans but là où des piétons marchent d’habitude d’un pas pressé, les journées semblent ralentir… il n’y a pas de doute : c’est le temps des vacances. C’est vrai du moins pour environ le quart de la main-d’œuvre active québécoise qui profite ces jours-ci des vacances de la construction, selon une estimation de la Commission de la construction du Québec.
Comme le rappelait un article que nous partagions ce lundi sur notre page Facebook, les vacances, parce qu’elles offrent une occasion pour les travailleurs et les travailleuses de se ressourcer et de récupérer, contribuent au maintien d’une bonne hygiène de vie tant sur le plan physique que psychologique. Ce temps de repos est d’autant plus salutaire qu’il tranche avec « l’accélération des rythmes de vie » typique de l’ère contemporaine. L’exigence de rapidité et d’efficacité est une des sources de bien des accidents ou maladies liés au travail, parce qu’elle est trop souvent synonyme de performances qui dépassent les limites du corps humain.
Il faut dire que le système économique actuel génère de l’instabilité puisque les grandes entreprises font du changement perpétuel leur pain et leur beurre. Ces jours-ci, c’est le jeu Pokémon Go qui retient l’attention de toute la planète. L’application inquiète ceux qui y voient un énième symbole de la dégradation de l’expérience humaine par le numérique, ou encore la marque de l’invasion de la vie privée par les corporations pour le bénéfice de leur rentabilité. Quoi qu’il en soit, la populaire application du studio américain Niantic est condamnée à disparaître tôt ou tard, emportée par le prochain buzz qui révolutionnera l’univers de la techno. Tout comme les téléphones réputés intelligents grâce auxquels l’on peut chasser des bestioles numériques seront un jour détrônés par un dispositif novateur qui sera vendu avec une promesse – mais aucune garantie – de rendre nos communications, notre planification, nos relations, plus efficaces. C’est ainsi que le dernier fabricant de magnétoscopes, la compagnie japonaise Funai, mettra d’ici la fin du mois un terme à l’usinage de cet objet tombé en désuétude depuis l’apparition des lecteurs DVD et Blu-Ray (eux-mêmes menacés par la popularité grandissante de l’écoute en ligne).
Cet empire de l’éphémère, selon la formule du philosophe Gilles Lipovetsky, est évidemment en phase avec l’expansion de l’économie financière, où les gains se réalisent sur l’horizon du court terme et où l’instabilité de n’importe quel marché (le pétrole, l’immobilier, les dettes publiques, etc.) peut devenir source de profits astronomiques, mais également de pertes vertigineuses. Le retour de la bande de Pikachu a par exemple fait exploser la valeur boursière des entreprises liées à la nouvelle application, avant de faire dégringoler celle de Nintendo après que l’entreprise japonaise ait relativisé l’impact que devrait avoir Pokémon Go sur ses revenus. Sur les marchés financiers, la fluctuation de la valeur des titres en circulation rythme les échanges jusqu’à ce qu’éclate la prochaine bulle spéculative, avec le potentiel de contagion à l’économie « réelle » que l’on connaît.
Le temps file entre nos mains, nous faisant parfois perdre de vue le sens que revêtent les actions dans lesquelles nous sommes engagés. Pourquoi ne pas profiter de la pause que nous offrent les vacances pour réfléchir à ce que nous produisons collectivement, à des manières plus significatives d’employer notre temps, et aux moyens de remettre l’innovation technologique au service de la qualité de la vie et des relations sociales, et non de la croissance des profits ?