Ni transparence ni démocratie : il s’agit d’affaiblir le mouvement syndical
10 mai 2016
M. Yves-Thomas Dorval, P.-D.G. du Conseil du patronat du Québec, s’est récemment livré à un vibrant plaidoyer en faveur de la démocratie et de la transparence, afin de justifier son opposition au projet de loi C-4 débattu à la Chambre des communes. Celui-ci vise essentiellement à annuler deux lois touchant aux organisations syndicales adoptées sous l’ancien gouvernement conservateur. La Loi C-525 forçait notamment la tenue de scrutins à bulletins secrets pour les accréditations relevant du Code canadien du travail. La Loi C-377, quant à elle, obligeait toutes les organisations syndicales à rendre publics des états financiers très détaillés. Cet argumentaire cache pourtant assez mal les véritables intentions derrière l’opposition au projet de loi C-4 : affaiblir encore un peu plus le mouvement syndical.
Les entreprises ne sont pas des espaces démocratiques
L’idée voulant que l’accréditation syndicale par scrutin secret obligatoire soit plus démocratique que celle par signature de carte repose sur un mythe : celui que l’entreprise est un espace démocratique, au sein duquel une « campagne électorale » pourrait se tenir au même titre que celles au terme desquelles nous élisons nos députés et députées. Or, rien n’est plus faux. Une campagne de syndicalisation se joue la plupart du temps à l’extérieur même des entreprises, précisément en raison des pressions, et même des sanctions qui seraient adoptées contre celles et ceux voulant se doter d’un syndicat. Nous n’avons qu’à nous souvenir de la prise de parole plutôt maladroite du président de Couche-Tard auprès des employés et employées de son entreprise il y a quelques années pour nous en convaincre. Le parallèle entre un référendum d’accréditation syndicale et un référendum tenu sous l’égide d’un directeur général des élections ne tient pas, car il n’y a jamais égalité entre les parties au sein d’une entreprise. Le seul objectif des scrutins obligatoires est clair : rendre encore plus difficile qu’elle ne l’est en ce moment la syndicalisation des travailleurs et travailleuses.
La fausse séparation entre l’économique et le politique
Passons donc au deuxième enjeu : la divulgation publique des états financiers des syndicats. Rappelons que ceux-ci sont déjà non seulement disponibles pour les membres, mais même soumis à leur approbation. Le texte de M. Dorval a toutefois le mérite de la clarté. Après avoir péniblement essayé de justifier cette « transparence » par des raisons fiscales (qui devraient dès lors s’appliquer à toutes les organisations ne payant pas d’impôt sur le revenu), il révèle la véritable raison derrière cette exigence : séparer les relations du travail des activités « politiques » des syndicats, afin d’ultimement permettre aux membres de ne payer qu’une partie de leur cotisation. Cette pratique est déjà courante aux États-Unis, où le taux de syndicalisation est l’un des plus bas des pays de l’OCDE.
Ici, on s’appuie sur un autre mythe cher à la droite, celui d’une prétendue étanchéité entre la sphère économique et la sphère politique. Quiconque s’intéresse honnêtement à ces enjeux en décèlera rapidement l’absurdité. En quoi le fait de militer pour de meilleures protections en santé et sécurité du travail est-il différent selon que celles-ci soient négociées dans une convention collective ou inscrites dans la loi ? Pourquoi empêcherait-on les syndicats de se mobiliser pour augmenter le salaire minimum quand celui-ci leur permet également de négocier de meilleurs salaires pour leurs membres ? Et où est la contradiction quand des organisations qui représentent des fonctionnaires et des usagers et usagères des services publics se positionnement contre les politiques d’austérité ? On pourrait même pousser plus loin la réflexion et affirmer, comme l’a déjà écrit la sociologue Mona-Josée Gagnon, que tout ce que fait le syndicalisme est de l’ordre du politique, car négocier une convention collective touche à des enjeux de pouvoir et de répartition de la richesse qui sont profondément politiques.
Donc non, M. Dorval, il n’y a pas lieu de séparer ces enjeux, sauf à vouloir affaiblir encore plus un acteur qui reste l’un des principaux remparts contre l’accroissement des inégalités sociales. Et cela, même le Fonds monétaire international le reconnait aujourd’hui. Cessons donc d’invoquer la démocratie et la transparence, telle une novlangue, et disons les choses comme elles sont : le débat sur le projet de loi C-4 concerne la liberté d’association et de représentation collective, que ce soit dans les milieux de travail ou dans la société. Vouloir maintenir les lois adoptées sous le précédent gouvernement conservateur n’a comme seul objectif que l’affaiblissement du mouvement syndical.
Thomas Collombat
Professeur agrégé de science politique
Département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais
thomas.collombat[at]uqo.ca