Luc Godbout et son portrait incomplet de la fiscalité québécoise
25 janvier 2017
La Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques (CFFP) dirigée par le fiscaliste Luc Godbout offre, dans son bilan édition 2017, un portrait bien pessimiste de la situation fiscale du Québec. Dans l’espace public, on y aura retenu que nous nous classerions au deuxième rang des peuples les plus imposés au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et où la proportion d’impôts payée par les 20 % et 1 % les plus riches semble démesurée.
Questionnons-nous sur la situation fiscale des plus riches et mettons en perspective l’utilisation des impôts et taxes.
Système fiscal et classe salariée
Quand on examine l’impôt payé par les particuliers en fonction de leurs revenus totaux, comme le fait le CFFP, on observe que les 20 % les plus riches paient 70 % des impôts. En s’attardant presque uniquement à l’impôt à payer, à son poids et à sa distribution parmi les contribuables, on retient dans l’espace public l’impression d’une injustice fiscale pour les personnes les mieux nanties.
Permettez-moi d’abord de rappeler que ces personnes sont systématiquement avantagées dans le calcul de leur revenu imposable parce qu’elles tirent leurs revenus de d’autres sources que le salariat. En effet,
si on s’attarde à la distribution des déductions, on constate que 50 % sont accaparés par les personnes gagnant plus de 70 000 $, qui ne représentent que 10 % des contribuables.
Le CFFP souligne que le 1 % le plus favorisé paie à lui seul 17 % de la facture en ce qui a trait aux particuliers. Je me permets donc de rappeler que la catégorie de revenus de plus de 250 000 $, qui représente 0,6 % des contribuables, bénéficie de pas moins de 8 % des déductions. Moins de 1 % qui s’accapare près de 10 % : où se situe l’injustice?
Ces déductions, qui abaissent le revenu imposable, représentent des fonds dont le gouvernement choisit de se priver. En moyenne, les Québécois et les Québécoises peuvent ainsi diminuer leur revenu brut de 9 %. Toutefois, les contribuables gagnant un revenu entre 100 000 $ et 199 999 $ ont droit à une diminution de plus de 12 %.
L’État choisit de se priver proportionnellement de plus de revenus provenant des contribuables les plus riches que du contribuable moyen. Il permet aux premiers, grâce à une diversification de leurs revenus et à des déductions qui leur sont disponibles, de contrer la progressivité de la fiscalité.
Impôts et taxes : le Québec est-il en retard?
Tout comme dans son rapport publié en 2014, la CFFP rappelle que la structure fiscale du Québec diffère de celle des pays de l’OCDE. Alors qu’en 2014 le Québec récoltait 36 % de ses recettes fiscales en impôts sur le revenu des particuliers et 20 % en taxes à la consommation, les moyennes pour les pays de l’OCDE étaient inversées, soit de 24 % et de 28 % respectivement.
La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise –dirigée par le même Luc Godbout- avait recommandé une relative baisse d’impôts compensée par une hausse des tarifs et taxes. En utilisant un raisonnement similaire à celui qui, en 2014, avait mené à ces conclusions, on peut s’attendre à ce que certain·e·s analystes reviennent à la charge en plaidant encore une fois pour une réorganisation de la collecte des revenus du gouvernement, pour moins d’impôts et plus de taxes et tarifs, question de rattraper la moyenne des pays de l’OCDE.
Est-ce souhaitable pour le Québec de suivre la tendance observée dans les pays membres de l’OCDE en adoptant une structure fiscale favorisant la collecte par les taxes à la consommation? Tout d’abord, il faut rappeler leur caractère régressif. Alors que, du côté de l’impôt, plus on a un revenu élevé, plus notre contribution relative augmente, du côté des taxes à la consommation, la part du revenu consacrée au paiement des taxes diminue avec le revenu. Augmenter les taxes a donc un effet disproportionné sur les personnes les plus pauvres.
Ainsi, si la taxe de vente du Québec augmente, les personnes à faible revenu paieront plus de taxes sur le strict nécessaire qu’elles consomment. Cette augmentation ne sera pas dans leur cas compensée par une baisse d’impôts : leurs revenus sont trop faibles pour qu’elles paient des impôts. Au final, hausser les taxes pour baisser les impôts rend la collecte de recettes fiscales pour l’État plus régressive.
En matière de « taux de pression fiscale » (quelle terminologie alarmante!), comme le note la CFFP, le ratio des recettes fiscales au Québec sur le produit intérieur brut (PIB) est de 38 %, légèrement supérieur à la moyenne de 34 % pour l’OCDE. Il reste tout de même que dix pays, dont les pays scandinaves, présentent un taux de pression fiscale plus élevé, allant même jusqu’à 47 %. Même si ces derniers suivent la moyenne de l’OCDE par rapport à l’utilisation relative des impôts et des taxes, on observe en fait qu’entre 1981 et 2011 la plupart des pays scandinaves ont diminué la part des taxes à la consommation ET des impôts des particulier pour augmenter l’impôt des sociétés et des cotisations sociales. On note au passage qu’au Québec, entre 2011 et 2014, la part provenant de l’impôt des sociétés est passée de 14 % à 13 %.
Sommes-nous en retard? Cela n’en tient qu’aux critères sur lesquels on décide d’en juger. Comparer des États, qui diffèrent sur plusieurs aspects dont l’égalité de leur marché de l’emploi, leur niveau de préférence pour la progressivité et leur engagement en fourniture de services publics ne peut se résumer qu’à une simple comparaison de pourcentage du poids de la fiscalité dans le PIB ou du mode de collecte des recettes fiscales.
Ignorer la finalité d’un système fiscal
L’équipe de recherche de la CFFP ne souhaite pas se lancer dans une analyse politique et choisit donc de ne pas s’attarder à l’utilisation des recettes collectées. Pourtant, nul ne peut ignorer la combinaison de la collecte et de la redistribution afin de juger de la progressivité d’un système fiscal, dont la pertinence réside justement dans la provenance et la destination de chaque dollar collecté.
Au final, qu’a-t-on retenu du rapport? Les 70 % de l’impôt à payer par les 20 % les plus riches semblent avoir résonné bien fort. Ces mêmes personnes gagnent plus de 50 % des revenus totaux générés au Québec. Cet écart n’a rien de problématique. Il n’est que la concrétisation du principe de progressivité de l’impôt. De toutes façons, en quoi est-ce surprenant? Au bas de l’échelle, on retrouve des gens qui gagnent des revenus qui ne garantissent rien de plus que la survie. On ne peut certainement pas leur demander une contribution, ce qui, nécessairement, implique une compensation en haut de l’échelle.
Cette distribution des revenus et de l’impôt est conséquente avec la nature même de notre système de redistribution : le taux d’imposition des Québécoises et Québécois augmente avec leurs moyens de contribuer. C’est un moyen efficace de lutter contre la pauvreté en limitant les inégalités de revenus et un outil nécessaire à l’accessibilité des services publics. Il assure que la contribution de chacun et de chacune reflète sa capacité de payer.
Qu’est-ce que ce bilan nous apprend? Ou plutôt, qu’est-ce qu’il nous porte à croire? Malgré le prétendu détachement des auteur·e·s par rapport aux questions politiques et, donc, à la redistribution desdites recettes, le bilan a tout de même une saveur de « nous sommes trop imposé·e·s ». En fait, il n’y a rien de surprenant, puisque c’est un peu la fatalité d’un tel exercice… On tente de juger du montant d’une facture sans même se pencher sur ce que son paiement fournit. Un bilan de la fiscalité devrait plutôt demander si, étant donné les besoins à combler, nous réussissons à atteindre les objectifs que nous nous fixons en tant que société et, ensuite, juger de l’ambition de ces objectifs lorsqu’on se compare à l’international.