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Logement : c’est pire que vous pensez

20 mars 2013


À l’IRIS, on publie sur le logement à chaque année depuis sept ans. On n’est pas les plus grands experts sur le dossier, mais on commence à bien le connaître. On a développé un certain nombre d’outils qui ont été utiles, on l’espère, à mieux comprendre la situation du logement au Québec.

J’imagine que c’est entre autres à ce titre que quand s’est formée la Commission populaire itinérante sur le droit au logement, les gens du FRAPRU, qui ont rassemblé les 14 commissaires, m’ont contacté. J’aime me balader au Québec, le logement ça m’intéresse, j’ai tout de suite dit oui.

Après 19 audiences et avoir écouté les témoignages de plus de 350 personnes, nous avons déposé notre rapport aujourd’hui.

Voici quelques réflexions d’un ex-commissaire.

Quelques horreurs

Une petite banalité pour commencer : étudier le logement ce n’est pas voir l’état des lieux. Vous le verrez un peu dans le documentaire produit autour de la commission, souvent la situation est désastreuse. Vous le verrez, mais vous ne sentirez pas l’odeur de moisissures, vous n’entendrez pas les confidences inavouables en public, vous n’aurez pas le sentiment du désespoir et de l’abandon qui se dégage de tant de milieu de vie.

Pour observer l’application d’un droit on ne va pas rencontrer ceux pour qui il a peu de chance de poser problème; on écoute les gens qui ont toutes les chances d’en être privés. En audience, nous avons reçu des gens en HLM, des locataires ayant vécu des situations innommables avec la Régie du logement, des pauvres, des gens qui venaient d’arriver au Québec et tout plein d’autres.

Des histoires d’horreur il y en a eu. Trois m’ont marqué : les autochtones, les faveurs sexuelles et l’itinérance voilée.

Les communautés autochtones : vous pensez que ça va mal? Eh bien c’est pire encore. Des petites maisons de rien du tout – pour une famille ça irait encore, mais ce serait loin du luxe – avec 17 habitants. Comment on peut vivre, grandir, élever des enfants, s’amuser et aimer entasser comme ça? Je suis impressionné par le courage des gens qui le font chaque jour.

Être contrainte d’offrir des services sexuels pour payer son loyer? Qu’il est monstrueux d’envisager que cette pratique soit suffisamment répandue au Québec pour qu’on nous en parle dans plusieurs régions. Bien sûr, il n’y a que des femmes qui nous ont fait état de ce genre d’horreur. D’ailleurs, elles étaient très largement majoritaires dans les gens qui venaient nous parler. Les femmes sont encore au cœur d’une série d’oppressions qui se révèlent particulièrement quand on porte attention à la question du logement : pauvreté, insécurité, rapports sociaux de sexe, assignation aux tâches domestiques, etc.

Être itinérant ailleurs qu’en ville, c’est aussi une réalité à laquelle on ne pense jamais. Parce qu’on ne voit pas cette itinérance voilée, on pense qu’elle n’existe pas. Pourtant, à Rouyn comme à Gaspé on nous a parlé de ces gens qui passe d’une sœur à un oncle et finalement d’un ami à sa voiture pour passer ses nuits. Le logement cher, qu’il soit causé par le boom minier ou l’arrivée des touristes, a aussi ces conséquences.

Un autre point de vue

Je n’en dis pas plus sur les conclusions du rapport que vous pourrez aller consulter vous-même. Un seul mot cependant sur le processus d’audience du point de vue d’un chercheur.

La tenue d’audiences est à la recherche ce qu’une ballade dans la forêt est à l’observation d’une photo en noir et blanc de la même forêt. La recherche à partir de données, ou même d’entrevues, se fait dans les limites de ce qui est disponible et dans une perspective relativement statique. Le tout donne un  processus de pensée relativement solitaire.

Les audiences permettent au contraire de rassembler dans une même pièce une série de gens qui ne se connaissent pas, qui échangent avec vous, mais qui réagissent aussi à ce qu’ont dit les autres. Ils peuvent vous décrire une situation dynamique, des rapports de pouvoir, des éléments du quotidien et des interactions sociales invisibles par la seule consultation de données ou de rapports.

Bien sûr ça donne un résultat plus impressionniste que les séries de graphiques et de tableaux que nous pouvons parfois produire, mais il se fait là des choses qui nous sont inaccessibles en recherche « normale ». Bref, je m’ennuierai d’être commissaire.

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