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L’industrie pharmaceutique au Québec : l’heure du bilan

5 juin 2012

  • Guillaume Hébert

On apprenait la semaine dernière que la firme allemande TVM Capital allait gérer à Montréal un fonds d’investissement en science de la vie devant permettre, entre autres, à la pharmaceutique multinationale Eli Lilly de s’établir dans la métropole.

Est-ce les investissements prévus de 150M$ sur cinq ans signifient que la politique industrielle québécoise dans les biotechnologies reprend soudainement vie ? Et bien non.

Au contraire, l’heure est venue de réaliser un véritable bilan des politiques en matière d’industrie pharmaceutique. Depuis une vingtaine d’années, le Québec a tout mis en œuvre pour attirer les géants de cette puissante industrie. L’objectif était bien sûr de profiter des retombées en termes d’investissement, de recherche, d’emploi, etc.

Mais ces retombées sont-elles suffisantes lorsqu’on les compare aux incitatifs financiers offerts à cette industrie ?

Les récentes mises à pied dans les entreprises pharmaceutiques au Québec (plus de 350 en 2012 seulement) portent a plus de 3000 en cinq ans le nombre de pertes d’emploi dans ce secteur (l’annonce de la semaine dernière créerait pour le moment une dizaine d’emplois) et nous mènent à croire que les retombées sont de moins en moins avantageuses.

Cette impression s’avère tout à fait fondée, mais les racines du problème sont plus profondes.

Marc-André Gagnon, professeur à l’Université Carleton et chercheur-associé à l’IRIS, publiait la semaine dernière un article sur le sujet,  « L’aide financière à l’industrie pharmaceutique québécoise : le jeu en vaut-il la chandelle ? », dans le dernier numéro de la revue Interventions économiques.

Dans cet article, Gagnon rappelle que le fondement des politiques actuelles date de 1987 lorsque le gouvernement Mulroney réforme la législation sur les médicaments brevetés.

Depuis, les pharmaceutiques profitent des largesses publiques par le biais de quatre types d’aide à l’industrie.

D’abord, les crédits d’impôt. Le gouvernement fédéral offre un crédit de 20% aux grandes sociétés pour la R&D, ce à quoi le Québec ajoute un 17,50% supplémentaire. Pour ce qui est des petites entreprises, ces crédits atteignent respectivement 35% et 37,50% pour un taux combiné de plus de 60%. Uniquement pour son volet fédéral, cette mesure fiscale équivaut à 233M$ de déduction pour les entreprises pharmaceutiques québécoises.

Ensuite, il y a les politiques de prix. Le Canada consent à l’industrie un plafond de prix en fonction d’une comparaison avec les pays où les médicaments sont les plus chers. Si le prix des médicaments brevetés au Québec était comparable à ceux qu’on trouve en France, au Royaume-Uni ou en Nouvelle-Zélande,  les Québécois pourraient épargner de 266M$ à 1496M$.

Le Québec ajoute à ces politiques la règle des 15 ans, qui garantit aux entreprises qui produisent des médicaments de marque un remboursement complet par le régime public d’assurance-médicaments plus longtemps en dépit de l’arrivée de médicaments génériques sur le marché (un coût de plus de 160M$). Enfin, l’Ontario et le Québec se font une guerre des subventions depuis 2008 dans le but d’attirer des entreprises sur leur sol. Ces subventions s’additionnent aux autres mesures et coûtent entre 27M$ à 45M$ à l’État québécois.

Le cumulatif de ces aides apparaît dans ce tableau, tiré de l’article de Marc-André Gagnon :

Et les retombées ? Gagnon montre qu’elles sont de moins en moins importantes. Une fois prises en compte les crédits d’impôt, l’industrie pharmaceutique investit annuellement un maigre $252M en R&D privée. En 2010, le Québec a donc dépensé entre $455M et $1703M en aide de toute sorte pour générer des investissements en R&D dans le secteur pharmaceutique privé, alors que la somme totale de ces investissements s’est chiffrée à $252M. Ainsi, pour chaque dollar généré par l’industrie, le Québec a versé 1,81$ à 6,76$.

Par conséquent, un bilan de la stratégie pharmaceutique du Québec devrait nous amener à conclure que l’approche actuelle n’est plus défendable. En fait, les retombées seraient de loin plus considérables si le Québec acceptait plutôt de financer directement la recherche publique, par exemple par la mise sur pied d’un laboratoire public de recherche, libéré des contraintes commerciales de l’industrie qui fait souvent en sorte que la recherche privée s’oriente trop souvent sur du développement de produits déjà existants (le complément de gamme) plutôt que sur une innovation thérapeutique significative.

Et d’ailleurs, pas besoin de visiter la Corée du Nord pour trouver de l’inspiration ; le gouvernement des États-Unis lui-même annonçait l’année dernière qu’il financerait la mise sur pied d’un laboratoire pharmaceutique public.

Notons que le plan d’investissement impliquant TVM Capital et Eli Lilly a d’abord été rendu possible par un investissement de 65M$ de Teralys Capital. Ce dernier fond est une créature de la Caisse de dépôts et de placements, du fond de solidarité FTQ et d’Investissement Québec. Encore une fois, beaucoup d’argent public.

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