L’immigration : un « carburant électoral » faible en octane
13 octobre 2022
Lecture
6min
Au lendemain de l’élection du 3 octobre, une certaine lecture des résultats semble s’être imposée. Pour plusieurs, la majorité écrasante de sièges obtenue par la Coalition avenir du Québec (CAQ) s’expliquerait par les « inquiétudes légitimes » de la majorité francophone et auxquelles le premier ministre et chef caquiste François Legault aurait su répondre : immigration, langue et laïcité.
Le Journal de Montréal écrit ainsi que la CAQ a triomphé grâce à son « nationalisme identitaire, véritable carburant électoral. » Les résultats démontrent, selon cette ligne de pensée, que l’appui pour le bloc politique identitaire, « c’est-à-dire le vote caquisto-péquiste, fait 57 %. » Même son de cloche du côté de médias tels La Presse, Le Devoir, ou Radio-Canada. On y affirme que les craintes identitaires soulevées par l’immigration sont au cœur de la politique québécoise aujourd’hui, que cela plaise ou non. En réaction aux résultats de l’élection, l’éditeur adjoint de La Presse François Cardinal a même annoncé qu’un journaliste serait désormais affecté à la couverture des « questions identitaires ».
C’est une telle évidence qu’elle s’observe partout sauf… dans les sondages.
Les questions identitaires : pas au sommet des priorités
À plusieurs reprises durant cette campagne, des maisons de sondage ont demandé aux Québécois·es d’identifier leurs préoccupations politiques. En dépit des distinctions méthodologiques entre les coups de sonde, un constat assez clair ressort : pour la grande majorité des électeurs et électrices, les questions identitaires (l’immigration, la langue et la laïcité) ne figurent pas parmi les préoccupations principales.
Ainsi, malgré une couverture médiatique significative et un débat souvent axé sur les seuils d’immigration, seuls 5 % à 11 % des Québécois·es ont nommé l’immigration ou la laïcité parmi les enjeux qui influenceraient leur vote. L’immigration se retrouve carrément au dernier rang du palmarès des enjeux qui préoccupent l’électorat québécois, un résultat qui se confirme qu’on donne trois, cinq, dix ou onze options.
Au contraire, une majorité de gens semble beaucoup plus préoccupée par la détérioration rapide du système de santé, l’accélération des changements climatiques ou l’explosion du coût de la vie, des enjeux identifiés comme prioritaires dans plusieurs sondages.
Il y a, tout au plus, 28 % des électeurs et des électrices qui affirment que l’immigration est un enjeu qui influence leur vote et qui disent voter pour l’une des trois formations qui ont tenu un discours négatif à propos des nouvelles et des nouveaux arrivants durant la campagne (Léger, 28 août). Et dès qu’on pose la question de manière plus restrictive (« nommez l’enjeu le plus important pour vous »), l’immigration se retrouve loin derrière les autres enjeux.
La défense de la langue française et de la loi 96 se classe plus haut dans l’échelle des priorités des Québécois·es. Avec 18 % et 20 % des électeurs et électrices qui les nomment comme un enjeu important pour eux, les droits linguistiques se retrouvent au 4e ou au 5e rang dans les sondages où davantage d’options sont présentées.
Un·e Québécois·e sur cinq, ce n’est pas rien. Mais attention, parmi ces personnes plus préoccupées par la question linguistique, les trois quarts sont composés d’anglophones, un groupe quasiment unanime dans son opposition à la loi 96. En somme, pour les francophones, la question linguistique se retrouve elle aussi au bas de la liste des enjeux prioritaires, avec seulement 7 % à 9 % d’entre eux qui la désignent comme importante.
Enfin, les électeurs et électrices caquistes en générale sont tout sauf idéologiques. Dans le sondage Léger, seulement 29% des répondant·e·s nomment les politiques ou le programme de la CAQ (ou la défense de la langue française) comme justification pour leur choix aux urnes. Beaucoup plus que n’importe quel autre parti (56%), les caquistes justifient leur vote par des raisons non idéologiques (le gouvernement fait un bon travail, le parti est sincère, on aime le chef, on ne fait pas confiance aux autres partis, etc.). À l’opposé, c’est chez QS et le PQ que les partisans sont le plus idéologiquement motivés (62 % et 69 %, respectivement).
Un enjeu qui touche une frange minoritaire de l’électorat
Indéniablement, les enjeux identitaires ont occupé une place prépondérante dans les médias et les discours politiques de la dernière campagne. Les multiples déclarations incendiaires de François Legault et ses ministres ont notamment fait couler beaucoup d’encre.
Pas surprenant donc que de nombreux journalistes, chroniqueurs et politologues aient conclu que le vote des 41% de Québécois·es qui ont choisi la CAQ était un vote massif en faveur de ses positions sur les enjeux identitaires.
Dans La Presse, par exemple, l’ex-maire de Gatineau Maxime Pedneaud-Jobin expliquait que la CAQ aurait montré à quel point elle est à l’écoute de la population avec une campagne axée sur l’immigration, la langue et la laïcité : « On peut critiquer ses actions, mais elle est clairement en phase avec une grande part de la population. ».
Mais si on considère plutôt les sondages, les affirmations polémiques de la CAQ semblent avoir été utiles pour cibler un électorat beaucoup plus limité qu’on pourrait le croire a priori. Étonnamment, même chez les caquistes, le nationalisme identitaire apparaît selon les sondages comme un carburant électoral assez pauvre en octane. Quand on leur demande quel est le thème politique le plus important (Léger, 15 septembre), seulement 8% des caquistes choisissent la catégorie « immigration, identité, langue ». D’autres sondages abondent dans le même sens : 4% des électeurs et électrices de la CAQ choisissent « l’identité québécoise » comme l’enjeu numéro un (Mainstreet, 27 septembre). À Montréal et à Laval, là où l’insécurité identitaire des caquistes devrait être à son comble, seulement 13% des partisans du parti ont « la langue / loi 96 », « l’immigration », ou « la laïcité / loi 21 » comme enjeu prioritaire (Léger, 10 septembre).
Ces constats ne sont pas nouveaux. Depuis le psychodrame des accommodements raisonnables dans les années 2000, on constate sondage après sondage que l’engouement pour les discours identitaires xénophobes est l’affaire d’une minorité.
Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de gains politiques à faire sur le dos des immigrant·e·s. Avec un bon nombre de sièges qui étaient au cœur de luttes à deux entre la CAQ et le Parti Québécois – la seule formation politique dont l’électorat, selon les sondages, réagit fortement aux discours sur l’immigration –, on comprend que François Legault avait intérêt à aborder cet enjeu. À cet égard, la frange de l’électorat qui est le plus réceptif à ce type de discours (les personnes âgées de plus de 55 ans, vivant en banlieue de Montréal ou à Québec) constitue une cible intéressante.
Mais l’idée souvent colportée selon laquelle il y aurait une quasi-obsession de l’électorat québécois pour les enjeux identitaires ne colle pas à la réalité comme on l’observe sondage après sondage. Et le calcul qui consiste à additionner le vote caquiste et péquiste pour suggérer que 57 % de la population québécoise adhère au nationalisme identitaire reflète un manque de rigueur sidérant.
Malheureusement, cette campagne électorale s’est déroulée en faisant une place disproportionnée aux thématiques identitaires qui s’accompagnent immanquablement de discours aussi toxiques que stériles sur notre vie politique.
2 comments
Les commentaires sont désactivés
Ce sont les médias; surtout La Presse, Le Devoir et Radio-Canada qui revenaient constamment sur la question de l’immigration. Ils étaient clairement anti Legault et ont cru y voir le talon d’Achile sur lequel ils pourraient capitaliser, Dominique Anglade a elle aussi essayer de capitaliser la dessus, mais comme votre article le démontre; c’étai loin d’être une priorité pour la majorité des Québécois. Ils devront trouver autre chose la prochaine fois.
Les lois 21 et 96 de la CAQ ont, semble t-il été écrites par des individus sans qualification appropriée.
La CAQ est formés de transfuges frustrés et insatisfaits.
Qui peut croire un instant que quelque chose de bien peut en sortir?