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Libre-échange et progressisme sont-ils compatibles ?

23 mars 2018

  • Julia Posca

Le Canada, le Mexique et les États-Unis entameront, dans les prochaines semaines, une huitième ronde de négociations en vue de concevoir une nouvelle mouture de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). La tenue prochaine d’élections en Ontario (juin), au Mexique (juillet), au Québec (octobre) et aux États-Unis (novembre) met de la pression sur les négociateurs, qui ne sont toujours pas parvenus à trouver un compromis satisfaisant pour toutes les parties.

Ottawa prétend que « [t]out changement à l’ALÉNA devra respecter notre objectif visant à fournir des emplois bien rémunérés, stables et gratifiant [sic] aux Canadiens, afin de faire croître notre classe moyenne. » À cet effet, le gouvernement invite même la population à donner son avis sur l’accord et sur les manières de l’améliorer, non sans préciser, d’entrée de jeu, que l’ALÉNA est « un exemple de réussite du libre-échange. »

À ce propos, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland gagnerait à prendre conseil auprès de Jim Stanford, auteur de l’essentiel Petit cours d’autodéfense en économie (Lux, 2017). L’économiste canadien formulait récemment, dans un article du journal britannique The Guardian, une série de principes à suivre pour s’assurer que le commerce international se fasse sur des bases progressistes – un objectif que dit d’ailleurs poursuivre le gouvernement de Justin Trudeau avec le Partenariat transpacifique.

La proposition mise de l’avant par Stanford découle du constat que Donald Trump, bien qu’il doive une partie de sa popularité à ses critiques acerbes du libre-échange, défend des politiques qui risquent de nuire encore davantage aux salariés américains et, possiblement, à ses partenaires économiques. Dans ce contexte, les progressistes doivent, selon Stanford, contrecarrer le discours xénophobe et l’approche unilatérale véhiculés par le titulaire de la Maison-Blanche, tout comme le discours enthousiaste des partisans du libre-échange, dont fait notamment partie le premier ministre canadien. Ces deux options ne peuvent que convenir à une élite économique éloignée des préoccupations des citoyens et des citoyennes ordinaires.

Stanford identifie six principes nécessaires pour instaurer un cadre qui permettrait les échanges sans mettre en péril la souveraineté des États ou qui pourrait, autrement dit, contribuer à faire passer les intérêts des peuples avant ceux des grandes corporations multinationales :

  1. Les États doivent conserver le pouvoir de réguler les entreprises qui mènent des activités sur leur territoire. Le laisser-faire en matière économique a toujours entraîné une concentration du pouvoir entre les mains de quelques gros joueurs, pénalisant ainsi tant les salariés que les consommateurs et les consommatrices.
  2. Il faut éliminer les clauses qui accordent des privilèges aux entreprises privées. Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États constituent un bon exemple d’instrument qui donne aux entreprises privées un privilège dont aucun autre acteur économique ne jouit. Un accord progressiste devrait, selon Stanford, soumettre les entreprises aux mêmes lois et règlements que le reste de la population.
  3. Il faut réguler les flux de capitaux et prévenir la tendance des pays à vouloir dévaluer leur monnaie. Cette pratique (appelée « guerre des devises » ou « guerre des monnaies » ou « dévaluation compétitive ») permet à un pays de rendre ses exportations plus avantageuses, mais entraîne tôt ou tard une instabilité qui nuit au bien-être des salariés.
  4. Une entente commerciale réellement progressiste devrait contenir des règles réellement contraignantes en matière sociale et environnementale.
  5. Contrairement à ce que prétendent les défenseurs du libre-échange, les marchés ne s’équilibrent jamais naturellement et de manière harmonieuse. Il faudrait donc favoriser la coopération (plutôt que la compétition) entre les signataires d’un accord. Ceux-ci devraient tenter de corriger les déséquilibres qui surviennent périodiquement sur les marchés plutôt que de tirer avantage de situations qui nuisent à l’économie nationale de leurs partenaires.
  6. Afin de favoriser le bien-être des populations locales, les accords commerciaux doivent, enfin, aller de pair avec des politiques domestiques de soutien à l’emploi et de protection sociale. Cela signifie notamment d’imposer de manière adéquate les entreprises. De cette manière, les États se donneraient les moyens de financer un filet social en mesure de protéger les salariés en cas de turbulences économiques.

Les propositions de Stanford nous rappellent que les inégalités économiques et écologiques qui se sont creusées dans le sillage de la mondialisation néolibérale n’ont rien de naturel ou d’inévitable. Afin de contrer ces tendances, il importe en ce sens de redéfinir le cadre à l’intérieur duquel se réaliseront les échanges commerciaux dans les années à venir. Avec ou sans l’ALÉNA, le commerce doit servir l’intérêt des États et de leur population, et non uniquement la rentabilité des entreprises.

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