Liberté 45 : une histoire de repli
7 avril 2021
Ces derniers jours, nous en apprenions un peu plus sur François Legault, premier ministre d’un Québec en crise. Le PM se dévoile quelque peu en renouvelant une confidence sur les réseaux sociaux : il occupe le peu de temps libre que lui laisse sa fonction à la lecture. Il avance dans la confidence en révélant ce que nous devinons être son livre de chevet du moment, soit le dernier essai de Pierre-Yves McSween, Liberté 45. Chacun est bien entendu libre de faire ses propres choix de lecture, mais celui-ci nous en apprend un peu plus sur la psyché de M. Legault.
En partant d’un slogan faisant office de titre, ce livre, sans grande surprise, ressasse au nom d’un désir de liberté légitime les vieux préceptes de la méritocratie. En travaillant fort, en épargnant et en investissant de manière habile, chacun pourrait se libérer du fardeau qu’est le travail dès 45 ans. Bien entendu, cela est faux. Ce ne seront toujours que quelques-uns qui auront l’occasion de goûter à ce fruit rare et ceux-ci devront cette délivrance à une multitude de facteurs autres que leur mérite de grand besogneux.
Alors que nombre de bas salariés n’ont toujours pas retrouvé leur emploi, et que le personnel du secteur public travaille d’arrache-pied depuis 12 mois pour surmonter une pandémie sans précédent, le choix du PM montre à quel point sa vie est détachée de la réalité des personnes qu’il a pourtant la charge de sortir d’une situation intenable.
ET LA LIBERTÉ 55 DANS TOUT ÇA ?
Pourquoi, cela dit, cette idée de se libérer du travail à force de labeur acharné gagne-t-elle en popularité ? Nous avons connu le rêve de la « Liberté 55 », l’idée qu’un salarié·e pouvait espérer prendre sa retraite relativement jeune afin de profiter des belles années qu’il lui restait. À une époque où les gens entraient tôt sur le marché du travail, ces années « libres » étaient les bienvenues. Ce rêve, qui malheureusement n’a pu se concrétiser que pour une part réduite de la classe ouvrière, repose sur un principe de solidarité : en mutualisant l’épargne-retraite dans des fonds de pension à prestations déterminées, l’honnête travailleur avait bon espoir de pouvoir accrocher son bleu de travail et d’enfin profiter de la vie.
La « Liberté 45 », c’est le clou final dans le cercueil de cet idéal de solidarité. Elle vient sceller la fin d’une conception solidaire de l’épargne au profit d’un repli individualiste. Elle liquide le cadre collectif qui aide le grand nombre au profit du cadre personnel qui ne favorise que les heureux gagnants. Il n’est plus question de mutualisation des risques, mais bien que chacun dans son coin les assume.
Pire, ce principe réducteur nous exhorte à gaspiller notre vingtaine et notre trentaine dans l’espoir illusoire de devenir rentier. Une étude réalisée par la banque d’investissement Crédit suisse est pourtant claire sur ce point. Les jeunes de la génération Z (nés entre 1997 et 2010) ne peuvent espérer mieux que des rendements tournant autour de 2 % sur les marchés pour financer leur retraite. Dans ces conditions, leur vendre le fantasme de l’autonomie rentière est irresponsable, voire cruel.
Le premier ministre se reconnaît dans ce fantasme. Comble de l’ironie, il ajoute qu’il faut tout de même un soupçon de chance pour y arriver. On imagine qu’il parlait de la chance d’avoir accès à l’éducation quasi gratuite pour devenir comptable de sa personne ou encore de l’apport d’environ 8 M$ provenant du Régime d’épargne-action du gouvernement québécois, à une époque où cette somme représentait plus du tiers de la valeur de son entreprise. Peut-être parlait-il aussi de la chance de vivre dans un pays qui offre un système de santé à tout le monde et de celle d’avoir pu compter sur l’entrée en scène du Fonds de solidarité de la FTQ pour financer son expansion entrepreneuriale.
Cette fantaisie du capitalisme méritocratique ne nous amènera pas à nous dépasser, mais à nous enfermer dans une chimère, soit l’idée que notre liberté ne dépend pas des autres et qu’on peut se faire soi-même.