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L’exploitation goûte meilleure quand on l’aime

27 janvier 2014

  • Eve-Lyne Couturier

Êtes-vous de ceux ou celles dont le travail est également la passion? Seriez-vous prêt·e·s à accepter une réduction de salaire simplement pour le plaisir de conserver l’emploi que vous avez actuellement, avec les collègues que vous avez présentement? Selon un sondage mené par la firme de recrutement Monster l’an dernier, ce sont ceux et celles qui gagnent le plus cher qui se retrouvent le plus dans cette catégorie. Il ne faut pas s’en étonner. Les salaires élevés sont souvent le lot de travail que l’on choisit de son plein gré, qui vient avec des responsabilités, de l’influence et de la reconnaissance. Par contre, pour la grande majorité des travailleurs et travailleuses, le travail est plutôt une corvée rémunérée, avec trop souvent peu de chance d’avancement et encore moins de pouvoir sur les orientations de la boîte ou la manière de faire les choses.

« Faites ce que vous aimez, aimez ce que vous faites »? Un joli mantra. Mais derrière ces mots se cachent un double mouvement qui réduit à la fois la valeur du travail de ceux et celles à qui il s’applique, et déshumanise les autres, essentiels pourtant pour que les premiers puissent exister. Ainsi, on peut demander aux journalistes de devenir leur propre photographe, ou même payer des citoyen·ne·s pour faire le travail sur la base de la reconnaissance éternelle. Pour les aidantes-naturelles ou les éducateurs en garderie, le biais « vocationnel » tend à réduire la sympathie de plusieurs quant à leurs demandes financières ou pour l’amélioration de leurs conditions de vie. De l’autre côté, quelle est la passion de l’éboueur, de la gardienne de nuit d’un stationnement ou du préposé aux écrous d’une chaîne de montage? Ces derniers, ainsi que la masse invisible de travailleurs et travailleuses dans les pays en voie de développement, n’ont pas le luxe de pouvoir compter sur une mobilité sociale facilement accessible. Et sans cette mobilité, difficile de s’imaginer arriver à vivre de sa passion. Aux États-Unis, le rêve américain est encore une illusion pour une bonne partie de la population.

Au-delà d’une phrase motivationnelle, l’appel à « faire ce que l’on aime » est une stratégie de ressources humaines. Des employé·e·s qui aiment ce qu’ils font se sentiront partie prenante de l’entreprise et seront alors plus enclins à s’y identifier, à s’y consacrer et, par le fait même, à augmenter leur productivité. Besoin de travailler la fin de semaine pour terminer un rapport? Sans problème! Rester jusqu’à minuit pour assurer un excellent service? Avec plaisir! De plus en plus de personnes se sentent obligées de regarder leurs courriels professionnels la fin de semaine, ou de partir en vacances avec leur portable. Pour certaines compagnies, cela veut dire abolir les horaires de travail et laisser leurs employé·e·s partir quand ils et elles veulent, pour aussi longtemps que nécessaire (tant que le travail s’effectue quand même). Le résultat? Dans une économie encore incertaine et dans une société pour laquelle le travail est aussi central pour l’identité, plusieurs gens n’osent même pas prendre de vacances du tout par peur de ne pouvoir reprendre le dessus, ou d’être perçu comme profiteurs.

Il y a quelques jours, nous parlions de la nécessité de réduire son temps de travail, tant pour son propre bien-être que pour un système économique plus sain. L’importance mise sur l’amour du travail le masque peut-être, mais le système capitaliste est basé sur l’exploitation de la force de travail : si vous êtes payé·e·s, c’est qu’un profit est tiré de votre labeur pour enrichir quelqu’un d’autre. Vivre, et vivre bien, de sa passion est un privilège très loin d’être généralisé, et encore plus loin d’être généralisable. Les emplois les moins bien payés sont souvent les moins enrichissants, bien qu’ils soient parfois vitaux. Ce qu’il faut, ce n’est pas changer notre attitude face au travail, mais changer le travail lui-même pour le rendre moins aliénant, peu importe le salaire. Et, on y revient, ça veut peut-être dire, tout simplement, travailler moins.

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