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Les valises

25 avril 2016

  • Julia Posca

Même si les Panama Papers ne feront bientôt plus les manchettes, les révélations du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) ont fait craquer encore un peu plus le vernis qui enveloppe les élites d’ici et d’ailleurs d’une aura de bonté et d’altruisme.

Les riches et puissants, qu’il s’agisse de personnes ou d’entreprises, n’ont aucun intérêt à participer à l’assiette fiscale des États ; ce faisant, ils usent de tous les moyens possibles pour s’affranchir de ce mécanisme de redistribution autrefois mis au service de la solidarité sociale qu’est l’impôt. Cette réalité est d’autant plus scandaleuse qu’il s’agit, pour reprendre le titre du plus récent ouvrage d’Alain Deneault sur la question, d’une escroquerie légalisée. C’est dans l’enceinte même de nos parlements qu’ont été approuvées les dispositions législatives qui permettent à certains acteurs économiques de bénéficier d’un traitement privilégié en matière de fiscalité.

La bienveillance des peuples envers ces « citoyens corporatifs » ne s’arrête malheureusement pas là. Afin de dégager les profits qui seront par la suite redirigés vers les paradis fiscaux, les entreprises peuvent compter sur de généreuses aides gouvernementales sans lesquelles ne pourrait souvent avoir lieu aucune activité économique lucrative. Lorsque Julie Snyder avait annoncé en juin dernier qu’elle quittait la direction des Productions J pour que cette dernière continue d’être éligible au crédit d’impôt pour la production cinématographique ou télévisuelle, la femme d’affaires avait affirmé que la rentabilité de son entreprise était conditionnelle à cette aide. Les assistés sociaux ne sont pas toujours ceux que l’on pense.

Toujours dans le charitable dessein de « créer de la richesse », d’autres poussent l’audace (ou l’odieux, c’est selon) jusqu’à combiner aide publique ET évasion fiscale. Lors d’une autre fuite de documents révélée par le ICIJ en 2014 et connue sous le nom de LuxLeaks, on avait appris que Bombardier évitait de payer de l’impôt grâce à un stratagème fiscal impliquant des filiales domiciliées au Luxembourg. La Presse avait alors découvert que « 28 des 60 plus importantes entreprises québécoises possèdent des filiales au Luxembourg », dont Gaz Métro, Transat et Couche-Tard. La multinationale québécoise de l’aéronautique et du transport, qui a de la difficulté à fonctionner sans assistance publique, a malgré cela reçu 1,3 milliard $US du gouvernement provincial en 2015 pour son programme de CSeries, pour lequel elle a aussi demandé une aide de l’ordre d’un milliard au fédéral. L’entreprise ne s’est pas gênée pour annoncer quelques mois plus tard qu’elle procéderait à 7000 mises à pied, dont 2400 au Québec et quelques 400 autres dans le reste du Canada. Difficile de croire que l’on appelle ces entités des « personnes morales », alors qu’elles ne connaissent vraisemblablement pas la signification du mot scrupule.

Évidemment, ces entreprises québécoises ne font qu’adopter des pratiques que la plupart des multinationales dans le monde empruntent (sauf Gilbert Rozon). La branche américaine de Oxfam estime dans un rapport paru le 14 avril dernier que les cinquante plus grandes entreprises américaines, dont Apple, Wal-Mart, Microsoft, Alphabet et General Electrics, ont mis quelques 1400 milliards $US à l’abri de l’impôt entre 2008 et 2014, tandis qu’elles recevaient 11 000 milliards $US de fonds publics au cours de la même période. Pour les six années à l’étude, leurs profits cumulatifs se sont chiffrés à près de 4000 milliards $US.

Pendant ce temps, la plupart des formations politiques promettent au contribuable moyen des baisses d’impôt, question de compenser la pression financière accrue qui pèse sur les ménages pour cause de frais de scolarité et de garderie qui augmentent, de frais pour des soins dentaires non couverts par l’assurance maladie, de soins payés dans les cliniques privées pour ne pas devoir attendre les mois nécessaires pour voir un médecin au public. Tout ça pourquoi déjà ? Ah oui ! Parce que nous n’avons plus les moyens de payer collectivement pour tant de luxe. Les entreprises qui posent leurs valises dans des juridictions de complaisance pour maximiser leurs gains, lorsqu’elles bénéficient en plus d’aide publique, rajoutent l’insulte à l’injure. Réalisent-elles seulement qu’elles prennent ainsi les citoyens et les citoyennes ordinaires pour guère mieux que… des valises ?

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