Les graphiques (7): le choix des données
25 avril 2012
Je termine ici ma série sur les graphiques, avec probablement le sujet le plus important de tous, soit le choix des données. En effet, on aura beau avoir sous les yeux un graphique présenté dans les règles de l’art, s’il présente des données choisies plus ou moins honnêtement pour démontrer un point de vue plutôt que de choisir les données les plus pertinentes pour présenter objectivement un phénomène, on pourra se faire une idée fausse du phénomène illustré.
Les exemples sont ici innombrables. Ils découlent bien souvent de la mise en relation d’éléments trompeurs, ou de l’absence de relation avec un facteur essentiel à la pertinence de la comparaison. Je vais me contenter de présenter deux exemples qui reviennent fréquemment dans les débats économiques.
Taux de croissance de l’économie marchande
Combien de fois n’a-t-on pas lu que le Québec n’a contribué qu’à tel pourcentage de la croissance économique canadienne, de la hausse des investissements ou de la création d’emplois, pourcentage inférieur à son poids démographique? Par exemple, dans le graphique qui suit, qui représente le ratio de la croissance du PIB du Québec de l’Ontario et du Canada, on peut voir que la croissance du Québec entre 1989 (un sommet de cycle) et 2010 fut la plus faible des trois territoires retenus. En fait, on dira souvent que le Québec n’a fourni que 18 % de la croissance du PIB du Canada au cours de cette période, même s’il compte pour 23 % de la population canadienne (plus de 25 % en 1989).
Les gens qui dénigrent la performance économique du Québec auraient-ils raison? En fait, ce graphique ne nous informe nullement sur cette question. La donnée pertinente pour évaluer la performance économique est plutôt le PIB par habitant. Bon, en fait, le PIB n’étant pas un indicateur tout à fait pertinent, même le PIB par habitant ne montre pas vraiment l’évolution du bien-être d’une population, mais il montre au moins l’évolution de l’assiette fiscale de ces territoires!
Là, on voit bien que le PIB par habitant le plus élevé est celui de l’Ontario et le plus bas est celui du Québec. Mais, cela ne nous dit pas lequel a augmenté le plus rapidement. Pour cela, on peut encore utiliser les ratios.
Surprise! Même si le Québec a fourni moins que son poids démographique à la croissance du PIB, son PIB par habitant a augmenté davantage que celui du Canada et beaucoup plus que celui de l’Ontario. Comme quoi il faut se méfier des comparaisons oiseuses.
Cela dit, pour avoir un bon portrait de la situation, il est préférable d’avoir accès aux deux derniers graphiques. Le premier montre que le PIB par habitant de l’Ontario est encore plus élevé que celui du Québec, le deuxième que celui du Québec a progressé plus vite. Idéalement, il faudrait en plus comparer ces PIB par habitant au coût de la vie respectif de ces territoires, ou même carrément utiliser d’autres indicateurs, mais, bon, c’est un autre sujet!
Taux de croissance de l’emploi
Comme dans l’exemple précédent, mais cette fois avec l’emploi plutôt qu’avec le PIB, on peut voir que l’emploi a moins augmenté au Québec qu’en Ontario et qu’au Canada. Comme tantôt, nos analystes un peu démagogues diraient que le Québec n’a contribué qu’à 19 % à la création d’emplois au Canada entre 1981 et 2011, même s’il compte pour 23 % de la population adulte (15 ans et +) canadienne (près de 27 % en 1981).
Ce graphique est bien sûr aussi trompeur que le premier de l’exemple précédent. L’indicateur pertinent est le taux d’emploi (pourcentage de la population adulte en emploi), qui permettra une comparaison plus pertinente.
Si le taux d’emploi au Québec est encore plus bas que celui de l’Ontario et du Canada, il s’en est drôlement approché. On voit aussi que le taux ontarien est rendu quasiment identique à celui du Canada.
Par contre, si on veut comparer l’évolution de ces taux d’emploi, on préférera encore une fois regarder l’évolution du ratio du taux d’emploi.
Là, on s’aperçoit que le taux d’emploi a augmenté de façon semblable dans ces trois territoires jusqu’à la fin des années 1980 et que le taux d’emploi du Québec a par la suite augmenté beaucoup plus fortement que les deux autres. En fait, le taux d’emploi ontarien se retrouve en 2011 moins élevé qu’en 1981, tandis que celui du Québec est supérieur à son taux de 1981 de près de 9 %.
On pourrait se demander pourquoi j’ai présenté un exemple presque identique au précédent. En fait, je l’ai fait parce que ces deux derniers graphiques, quoique pas vraiment trompeurs, ne disent pas tout. En effet, le taux d’emploi varie considérablement selon l’âge. Il est par exemple très faible après 65 ans et lilliputien après 70 ans. Et, comme on nous le répète souvent, la société québécoise vieillit passablement plus rapidement que l’ontarienne et que la canadienne. En fait, 17,8 % de la population adulte (15 ans et plus, je le rappelle) était en 2011 âgée d’au moins 65 ans au Québec, par rapport à 16,4 % en Ontario et à 16,3 % dans le reste du Canada (Canada – Québec – Ontario = reste du Canada). Cela a un grand impact sur le taux d’emploi comparatif. Pour le constater, le prochain graphique montre l’évolution des taux d’emploi des adultes âgés de 15 à 64 ans.
Ce graphique permet de voir que, quand on exclut les 65 ans et plus, le taux d’emploi du Québec a rattrapé un retard de près de 10 points de pourcentage entre 1981 et 2011 avec l’Ontario et qu’il se retrouve cette dernière année pratiquement au même niveau qu’en Ontario et qu’au Canada! Mais, ce n’est pas encore complet…
En effet, on sait (enfin, on devrait, un ancien premier ministre du Québec nous l’a assez reproché!) que les Québécois prennent leur retraite en moyenne près de deux ans plus jeunes que les Canadiens. En plus, le taux d’emploi commence à diminuer vers 50-55 ans et les Québécois âgés de 55 à 64 ans sont aussi proportionnellement plus nombreux que dans les autres provinces (16,2 % de la population adulte par rapport 14,9 % en Ontario et à 15,6 % dans le reste du Canada).
Regardons maintenant l’évolution du taux d’emploi des 25 à 54 ans, population qu’on appelle fréquemment le «principal groupe d’âge actif». C’est d’ailleurs ce groupe d’âge qu’on utilise toujours pour comparer les indicateurs du marché du travail de groupes ayant des caractéristiques démographiques très différentes, comme les immigrants récents (presque pas de 65 ans et +).
Là, d’un retard de plus de 9 points de pourcentage en 1981, le Québec se retrouve en 2011 avec une avance de 0,6 point sur l’Ontario et efface son retard de 5,5 points avec le Canada pour le devancer de 0,2 point (disons qu’ils sont à égalité!). Quand même pas si mal pour un peuple qui ne travaille pas assez! Je rajouterais aussi que le Québec compte proportionnellement plus d’emplois saisonniers que l’Ontario (ce qui fait diminuer son taux d’emploi), mais, bon, il faut bien arrêter à un moment donné! En passant, la structure d’âge influence aussi le PIB par habitant, mais il n’existe pas de données du PIB par tranche d’âge! Mais, il est bon de garder les différences de ce genre en tête quand on tente de comparer ces données et d’analyser les écarts.
Conclusion
Il est très difficile de savoir si un graphique présente les données les plus pertinentes ou s’il est le résultat de données choisies pour démontrer un point de vue. Il faut pratiquement connaître à fond les données relatives à un sujet pour s’en apercevoir. J’ajouterais en plus que, même si les données choisies sont pertinentes, un seul graphique peut rarement montrer toutes les facettes d’un sujet. Dans mon dernier exemple, ne montrer que le graphique sur l’évolution du taux d’emploi des 25-54 ans serait aussi incorrect que de ne présenter que celui des 15 ans et plus.
Ce billet met fin à cette série sur les graphiques. Je pensais au départ en écrire deux ou trois sur ce sujet, mais je me suis aperçu que c’était impossible de faire un tant soit peu le tour de la question aussi rapidement. Cette série est terminée, mais il n’est pas dit que je ne reviendrai pas avec d’autres billets sur ce sujet si je trouve des graphiques «intéressants»!