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Les agences de placement, un intermédiaire de trop?

28 mai 2020

  • Julia Posca

Le mois dernier, plusieurs médias rapportaient que des agences privées de placement de personnel profitaient de l’épidémie de COVID-19 pour gonfler les prix chargés aux établissements de la santé à qui elles fournissaient de la main-d’œuvre. Mis au fait de la situation, le gouvernement a depuis annoncé qu’il allait encadrer la facturation réalisée par ces agences privées auprès des établissements de santé, des ressources intermédiaires et des résidences pour aîné·e·s.

Cette situation nous permet cependant de rappeler que les agences de placement sont des entreprises qui en raison de leur nature particulière, protègent souvent mal leurs employé·e·s. S’il est évident qu’on ne peut généraliser ce constat à l’ensemble des entreprises de cette industrie, des études ont montré par le passé que les problèmes rencontrés par certains salarié·e·s sont loin de représenter des exceptions.

Des emplois particulièrement précaires

Une enquête réalisée en 2012 par Léger Marketing pour le compte de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST, connue à l’époque comme la CNT) permet de dresser un portrait des personnes employées par les agences de placement.

On y apprend entre autres que celles-ci travaillaient en moyenne 4,4 jours par semaine ou 34,2 heures et que leur salaire moyen s’établissait à 15,60 $ l’heure en 2012 (ou 16,91$ en dollars de 2019). Ce tarif était donc inférieur à la moyenne de toutes les industries, qui s’élevait alors à 21,46$ (ou 23,26$ en dollars de 2019).

Les salariés des agences sont en majorité (60%) des hommes et sont âgés de 39,7 ans en moyenne. Plus de la moitié (52%) détenaient un diplôme de niveau secondaire, tandis que 45% détenaient un diplôme de niveau postsecondaire. De plus, environ le tiers (32%) des employé·e·s de ces agences étaient nés à l’extérieur du Canada. Les répondants nés à l’extérieur du pays résidaient néanmoins au Québec depuis 11,7 ans en moyenne, alors que le tiers s’y était établi il y a trois ans ou moins.

L’enquête avait révélé que « 90% des salariés temporaires interrogés ont subi au moins une infraction », parmi lesquelles on retrouve la « non-rémunération de la période de repas lorsque travaillée après cinq heures de travail » (87% des répondants), la « non-rémunération du temps de déplacement » (68% des répondants) et l’imposition de la compensation en temps des heures supplémentaires (51% des répondants).

Une étude de la Direction de la santé publique de Montréal réalisée en 2016 rappelait de son côté que « [t]ravailler pour le compte d’une agence présente des risques accrus de lésions professionnelles. » L’étude soulignait à cet effet que la précarité dans laquelle se retrouvent plusieurs employés d’agence « favorise l’apparition d’une diversité de pratiques dangereuses telles que l’intensification du travail, les tâches bâclées, l’acceptation de tâches dangereuses, le présentéisme ou le cumul d’emplois ».

On mentionnait en outre que « les obligations de l’employeur sont plutôt vagues et mal définies en raison de la relation tripartite » qui relie l’agence de placement, l’entreprise cliente et l’employé·e. Le fait que ce soient les entreprises clientes qui fournissent le travail aux employé·e·s placé·e·s par les agences entraîne en effet une confusion qui est propice à la négligence et aux abus. La DSP se montrait ainsi préoccupée à l’endroit de ces salarié·e·s quant à « l’application de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et, à un degré moindre, celle de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. »

Ces résultats nous portent à croire que les agences de placement sont plus enclines à faillir à certaines de leurs obligations et sont, par le fait même, plus susceptibles de maintenir des travailleuses et des travailleurs dans la précarité, dont une proportion importante de personnes issues de l’immigration qui s’exposent par le fait même à de nombreux risques. C’était le cas de Marcelin François, un préposé aux bénéficiaires d’origine haïtienne employé par une agence qui cumulait les emplois pour venir en aide à sa famille et qui est décédé le mois dernier de la COVID-19. Or, la rareté de la main-d’œuvre qui s’observe dans de nombreuses industries, dont dans le secteur de la santé et les services sociaux, contribue malgré cela à entretenir la demande pour du personnel d’agence.

Un encadrement qui fait encore défaut

Québec a récemment resserré la réglementation afin de mieux encadrer les agences de placement. En vertu de ce nouveau règlement, les agences doivent entre autres détenir un permis délivré par la CNESST et payer une caution de 15 000$; elles ne peuvent offrir à leurs employés une rémunération horaire inférieure à celle du personnel de l’entreprise cliente de l’agence; enfin, elles s’exposent à des amendes si elles ne respectent pas ces conditions.

L’application de cette réglementation est toutefois conditionnelle à ce que la CNESST dispose de suffisamment de moyens pour encadrer adéquatement ces entreprises, mais aussi que les salarié·e·s connaissent leurs droits et soient en mesure de les faire respecter. Dans les deux cas, il s’agit évidemment d’obstacles importants.

Le gouvernement a dit vouloir embaucher quelque 10 000 préposés aux bénéficiaires pour prêter main-forte au personnel de la santé et des services sociaux. Pourquoi ne ferait-il pas un effort supplémentaire pour rejoindre les travailleuses et les travailleurs qui ont recours aux agences afin de leur donner la possibilité d’occuper un poste permanent dans un établissement du réseau? Il pourrait ainsi combler une partie des besoins des hôpitaux et des CHSLD tout en améliorant les conditions de travail de salarié·e·s qui comptent parmi les plus vulnérables.

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