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Le sexisme des chiffres hors contexte

29 septembre 2020

  • Eve-Lyne Couturier

Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a fait dans les derniers jours une tournée médiatique pour réagir à la grève des éducatrices en milieu familial. Certains de ses propos méritent d’être soupesés, car s’il est faux de dire qu’on peut faire dire n’importe quoi aux chiffres, il est vrai que leur mise en contexte peut être aussi importante que les chiffres eux-mêmes.

M. Lacombe affirme que les éducatrices en milieu familial demandent une augmentation déraisonnable de 35 %, un chiffre bien supérieur à l’offre du gouvernement de 9,8 % sur quatre ans. Mais que veulent dire ces pourcentages ?

METTRE LES CHIFFRES EN PERSPECTIVE

D’abord, il faut regarder le point de départ : 35 %, mais de combien ? Les éducatrices soutiennent, en se basant uniquement sur les heures d’ouverture de leur service de garde, que leur salaire horaire équivaut à 12,42 $. Petit rappel, le salaire minimum est de 13,10 $ l’heure… Les 35 % demandés comprennent ainsi une mise à niveau de leurs revenus afin de les rendre plus décents.

Le gouvernement prétend que cela ne représente pas la réalité puisqu’elles peuvent appliquer de nombreuses déductions sur le montant forfaitaire que le gouvernement leur verse par enfant.

On ne peut cependant vérifier l’affirmation du ministre, puisque celle-ci n’est assortie d’aucun chiffre qui viendrait contredire celui avancé par le syndicat.

En revanche, dans le cadre d’une tribune téléphonique tenue le 22 septembre à l’émission animée par Isabelle Maréchal sur les ondes du 98,5 FM, deux éducatrices ont affirmé sur la base de leur déclaration de revenus qu’elles avaient gagné moins de 24 000 $ en 2019.

L’augmentation proposée par le gouvernement, de 9,8 % sur quatre ans, équivaut quant à elle à une hausse de 2,45 % par an. Quand on sait que l’inflation se situe généralement autour de 2 %, il reste très peu de place pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des femmes qui s’occupent des enfants à la maison dans le système public.

En clair, le gouvernement présente son offre comme généreuse, mais il oublie de parler du point de départ, un point de départ qui est si faible que, comme l’a admis Mathieu Lacombe en entrevue avec l’animateur Paul Arcand, il y a plus de garderies en milieu familial qui ferment chaque année qu’il y en a qui ouvrent.

UNE NÉGOCIATION SEXISTE

Il ne suffit pas de se proclamer féministe, comme l’a fait le ministre Lacombe, pour balayer ses biais sexistes.

En rejetant toute analyse différenciée selon le sexe pour appuyer ses décisions, l’État n’est pas en mesure d’évaluer les effets négatifs qu’il peut avoir sur les femmes.

Le ministre de la Famille fait preuve d’un tel aveuglement lorsqu’il rejette la qualification de cheap labor pour décrire le contrat entre le gouvernement et les services de garde en milieu familial sous prétexte que les éducatrices ont fait le choix de cette profession. L’amélioration récente du salaire des préposés aux bénéficiaires montre pourtant que l’augmentation de la rémunération est une des meilleures manières (mais non la seule) de valoriser des professions faiblement rémunérées et d’attirer du personnel.

LE TRAVAIL DES FEMMES HISTORIQUEMENT SOUS-ESTIMÉ

On considère trop souvent que le soin que l’on porte aux autres est un instinct féminin naturel et donc qu’il n’est pas nécessaire de le compenser adéquatement. Pourtant, être responsable d’enfants tous les jours de la semaine, les accompagner dans leur développement émotionnel, physique et mental, leur donner un cadre sécuritaire et agréable est un travail exigeant. De plus, c’est se mettre à risque physiquement au quotidien, en raison des maladies infantiles, des virus ou des enfants qui mordent, frappent et égratignent.

Par ailleurs, en opposant les éducatrices aux contribuables qui paient leurs salaires via leur impôt, le ministre omet de dire que ce service libère des parents pour qu’ils puissent eux-mêmes travailler. C’est donc un travail doublement essentiel qui mérite d’être reconnu à sa juste valeur. Et si on a pu reconnaître l’importance d’un salaire décent pour attirer et retenir des préposés aux bénéficiaires, la moindre des choses serait d’en faire autant pour les éducatrices en milieu familial qui tiennent à bout de bras notre économie et nos enfants.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 25 septembre 2020 de La Presse +.

 

 

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