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Le gouvernement Trudeau est-il préoccupé par l’endettement des ménages canadiens ?

31 mars 2016

  • Julia Posca

Éclipsé par les attentats de Bruxelles et le décès de l’ex-maire de Toronto Rob Ford survenus le même jour, le premier budget Morneau, dévoilé le 22 mars dernier, ne mérite pas moins qu’on s’y attarde. Voilà un document qui nous permet d’avoir une meilleure idée de ce qui attend le pays sous la gouverne des Libéraux. Mon attention s’est portée sur le chapitre 8, intitulé « Un régime fiscal équitable et un secteur financier vigoureux », où il est question de « renforcer le secteur financier pour soutenir la croissance économique ». Le gouvernement souhaite entre autres renforcer la résilience du secteur financier, mieux protéger les consommateurs et les consommatrices et contenir les risques qui pèsent sur le système financier. Pour ce faire, il entend notamment « Analyser le secteur du logement et l’endettement des ménages ».

Depuis quelques années, le marché immobilier canadien inquiète de nombreux  analystes qui voient dans l’augmentation importante des prix des maisons et de l’endettement corolaire des ménages un facteur de risque important pouvant affecter la stabilité de l’économie du pays. Dans des villes comme Vancouver ou Toronto, où cette hausse a été fulgurante, certains dont la Banque du Canada (voir sa dernière Revue du système financier ou RSF) se questionnent sur la possibilité que la spéculation entourant les prix des logements soit alimentée par les acheteurs ne résidant pas au pays. Pourtant, il ne s’agit que de suppositions et comme le mentionnent les documents budgétaires, « il n’existe pas un ensemble de données exhaustives et fiables sur le nombre d’habitations vendues à de tels acheteurs. » Le gouvernement alloue ainsi « 500 000$ à Statistique Canada en 2016-2017 afin d’élaborer des méthodes pour rassembler des données sur les achats d’habitations canadiennes par des acheteurs étrangers ». L’initiative est sans contredit intéressante et pertinente. 13,5 millions de dollars sur cinq ans sont aussi affectés à Statistique Canada dans le but de « rehausser la qualité et le caractère actuel des données économiques et financières afin d’appuyer la stabilité financière nationale et internationale. » Voilà une autre initiative fort louable.

Ces mesures contrastent néanmoins avec le rôle que le gouvernement joue lui-même dans la surchauffe du marché immobilier via la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL). En effet, la SCHL permet aux émetteurs de crédit hypothécaire comme les banques de titriser les dettes contractées par leurs clients (c’est-à-dire de transformer ces dettes en actifs pouvant être revendus à un tiers investisseur), tandis qu’elle peut aussi vendre à ces institutions des obligations hypothécaires, un autre type d’actif générant un revenu, afin de financer leur activité de prêt. Sans rentrer dans le détail, il faut retenir que cette titrisation augmente la capacité des institutions financières à octroyer des prêts pour l’achat d’une maison. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour ceux et celles qui veulent accéder à la propriété, mais c’est aussi une pratique qui encourage le prêt à une clientèle qui se trouve en moins bonne posture financière. La crise financière et économique de 2008 a par exemple été déclenchée par l’éclatement d’une bulle immobilière qui avait été grandement alimentée par la titrisation.

La Banque du Canada reconnaît de fait que « [m]ême si d’autres facteurs importants ont manifestement eu un rôle, la titrisation publique au Canada a favorisé la croissance du crédit hypothécaire pendant cette période. » (pp. 47-48 de la RSF) Au Canada, le crédit hypothécaire a ainsi augmenté de 6% en moyenne par année entre 2008 et 2014, alors qu’il diminuait de 2% aux États-Unis pendant la même période, avec les conséquences évidentes que l’on observe : « Un accroissement du crédit hypothécaire est susceptible de faire augmenter l’endettement des ménages et les prix des logements. » (pp. 50-51 de la RSF)

On ne peut donc pas prétendre qu’Ottawa est insensible aux risques qui pèsent sur la situation financière des ménages canadiens et sur la stabilité de l’économie canadienne en général. Les mesures proposées dans le dernier budget sont une preuve du contraire. Or il est aussi indéniable que la SCHL contribue à la croissance de l’endettement des ménages au pays à travers son programme de titrisation tout en alimentant, ne serait-ce qu’en partie, la surchauffe du marché immobilier. En ce sens, on est tenté de croire que le gouvernement de Justin Trudeau souhaite davantage garantir aux institutions financières un climat d’affaires stable que de réduire de manière structurelle la dépendance des ménages au crédit. Autrement dit, on constate que comme d’habitude, la priorité en haut lieu n’est pas tant que les ménages s’endettent moins, mais qu’ils s’endettent mieux.

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