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Le faux Nobel

15 octobre 2013

  • Guillaume Hébert

Chaque automne, les prestigieux prix Nobel sont décernés à des personnes ou des organisations pour leurs « bienfaits à l’humanité ». Chaque fois, on attribue cinq prix, conformément au testament de l’inventeur de la dynamite, Alfred Nobel. Le plus célèbre est sans doute le prix Nobel de la paix, attribué cette année à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Les quatre autres sont les Nobel de littérature, de médecine, de physique et de chimie.

Et c’est tout. Mais attendez, direz-vous. Ne décerne-t-on pas chaque année un prix Nobel de l’économie?

Eh bien non. « C’est une tromperie », dirait encore volontiers l’économiste québécois Gilles Dostaler, s’il était toujours des nôtres.

Les journalistes qui évoquent année après année un Nobel d’économie font erreur. Une telle chose n’existe pas. On remet plutôt un « Prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ». C’est un peu comme si on remettait un « Prix de l’arrondissement de Montréal-Nord en collecte des déchets à la mémoire d’Alfred Nobel ». Ce n’est pas un mal en soi, c’est même très important la collecte des déchets, mais avouons que c’est tout de même beaucoup moins prestigieux présenté comme ça. L’argent qui vient avec le prix ne provient d’ailleurs pas de la Fondation Alfred Nobel, mais bien de la même Banque de Suède.

Depuis quand cette banque centrale se dédie-t-elle à un tel détournement de la mémoire de Nobel? Depuis 1969, soit 73 ans après la mort du riche inventeur et l’exécution de ses dernières volontés Cette année-là, la Banque centrale de Suède créa une pastiche de Nobel et, depuis, le grand public n’y voit que du feu. La plupart des journalistes mordent également à l’hameçon.

Comme le raconte Dostaler dans ce texte, l’idée avait fait l’objet d’une campagne et avait reçu le soutien de quelques personnalités, dont le célèbre économiste suédois Gunnar Myrdal qui plus tard s’en mordît les doigts. Le problème avec cette mascarade, c’est qu’elle accorde à l’économie « une aura de scientificité niée aux autres sciences humaines ». Puisque, oui, l’économie est une science profondément humaine en dépit de toutes les couches d’équations mathématiques sous laquelle on peut l’enterrer.

Mais, on omet beaucoup trop souvent de le rappeler. L’une des conséquences de cette négligence est le statut d’oracle que l’on accorde désormais aux économistes ou encore à l’autel qu’est devenue l’économie elle-même. Elle justifie tous les sacrifices et constitue l’horizon indépassable de plusieurs.

L’ironie veut que les récipiendaires du faux Nobel de cette année aient en commun l’idée selon laquelle les attitudes des agents sur les marchés financiers, une fois qu’ils sont placés devant le risque, « ne sont pas toujours rationnelles ».

En d’autres mots, le monde s’énerve beaucoup devant les fluctuations des marchés. Raison de plus de saisir que l’économie ne peut être une science exacte. Je ne sais pas si ça méritait un prix, mais ça aide à comprendre pourquoi Alfred Nobel n’avait pas prévu de disposition particulière à l’endroit des économistes lorsqu’il s’est résolu à saluer les « bienfaits à l’humanité »…

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