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Le dogme

1 décembre 2020

  • Guillaume Hébert

Dans une lettre ouverte publiée jeudi dernier, André Pratte réclamait des contraintes budgétaires en vue de la mise à jour économique du gouvernement fédéral. Il est ironique de lire l’ex-éditorialiste et ex-sénateur se défendre de vouloir ériger l’austérité ou le déficit zéro en « religion ». Peut-être avait-il jugé bon d’ajouter cette précision en s’apercevant lui-même qu’il demandait au lecteur une véritable profession de foi?

Dans sa lettre, M. Pratte fait l’éloge du ministre des Finances du Québec qui s’est engagé ce mois-ci à respecter à Loi sur l’équilibre budgétaire. Cet appel au conservatisme fiscal fait écho à d’autres plaidoyers défendus par des personnes plus ou moins désespérées à l’idée de renouer un jour avec l’approche économique et fiscale d’avant la Grande Récession de 2008-2009. Or, cette époque est révolue.

Le 2 novembre, c’était Miville Tremblay, fellow à l’Institut CD Howe, qui publiait une lettre ouverte déplorant que le Canada soit devenu « l’élève zélé du FMI ». Le fellow du CD Howe remarque que « le nouveau credo du FMI est à mille lieues de ce qu’on appelait le “consensus de Washington”, lequel cristallisait dans les années 1980 tout ce qu’on a décrié à gauche comme le néolibéralisme du marché tout puissant ».Venant d’un fer de lance de l’hypercapitalisme au Canada, on ne pouvait qu’être saisi par cette volonté de prendre des distances vis-à-vis du Fonds monétaire international (FMI), une organisation internationale ayant pourtant souvent été dénoncée pour la brutalité avec laquelle elle a imposé à plusieurs pays la libéralisation, la déréglementation et l’assainissement des finances publiques (c’est-à-dire l’austérité).

Et M. Tremblay a parfaitement raison. La « belle époque » du néolibéralisme est maintenant terminée. Plusieurs s’aperçoivent que le choc provoqué par la crise financière de 2008 a été autant d’ordre économique que symbolique. Depuis, le rôle de l’État a évolué considérablement, tout comme celui des banques centrales. De nouvelles politiques telles que l’assouplissement quantitatif et de nouveaux phénomènes tels que la stagnation séculaire ou encore l’exacerbation des inégalités de richesse ou des changements climatiques ont contribué à transformer le rapport des États à l’économie.

L’onde de choc de la crise de 2008-2009 a été économique avant de devenir politique. Après le sauvetage des banques par les puissances publiques, de nouvelles mouvances politiques hétéroclites ont dénoncé l’establishment libéral. C’était le cas du mouvement Occupy ou du Tea Party aux États-Unis, tout comme plus récemment le mouvement des Gilets jaunes en France. Chez nos voisins du Sud, les discours antisystèmes reconfigurent depuis plusieurs années l’horizon politique. Donald Trump a bien entendu eu recours à cette rhétorique pour accéder à la Maison-Blanche, mais des candidats socialistes parviennent aussi désormais à remporter des élections aux quatre coins du pays. En outre, l’éclosion de théories complotistes est sans aucun doute également un symptôme du discrédit des institutions de la démocratie libérale.

Même la foi dans les vertus du libre-échange s’est affaiblie alors qu’elle faisait jadis l’objet d’une ferveur qui se remettait difficilement en question. Or, les populations ont déchanté lorsqu’elles se sont aperçues que ces politiques permettaient surtout l’élaboration d’une armature légale servant l’intérêt des élites d’affaires mondialisées. Plus personne n’est dupe quant au nivellement par le bas des conditions de travail, de la concurrence fiscale qui érode l’assiette fiscale des États ou de la centralité des paradis fiscaux dans la stratégie comptable des firmes transnationales. Tout cela aura été facilité par les soi-disant accords commerciaux. Ce n’est pas un hasard si Donald Trump avait fait du libre-échange l’une de ses cibles de choix.

Il est frappant de constater que les mantras de l’économie néoclassique chers aux élites libérales se sont fanés les uns après les autres. La théorie du ruissellement selon laquelle baisser les impôts des plus riches se traduirait par des investissements qui percoleront sur l’ensemble de la population ? C’était finalement une arnaque. Thomas Piketty et d’autres ont montré que le niveau d’inégalités de richesse atteint désormais les niveaux extrêmes de la fin du XIXe siècle alors que les impôts payés par les plus riches en proportion de leurs revenus ont diminué un peu partout en Occident.

La thèse de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff qui stipule qu’un État dont l’endettement dépasse les 90% du PIB verra sa croissance freinée et qu’évoquaient allègrement des leaders du G7 pour justifier des politiques d’austérité au début des années 2010? C’était une erreur. Non seulement un étudiant a montré que les économistes en question s’étaient fourvoyés dans le tableau Excel où étaient compilées les données appuyant cette thèse, mais c’est le contraire qui s’est produit dans la dernière décennie alors que de nombreux États n’ayant pas appliqué de politiques d’austérité ont connu une relance bien moins pénible.

Même constat en ce qui a trait au recours accru à la logique de marché pour le financement et la prestation de services qui étaient auparavant entièrement publics, tant en éducation qu’en santé, qu’en construction ou en informatique. Il ne fait plus de doute que la qualité et l’accessibilité des services publics – une forme cruciale par ailleurs de redistribution de la richesse – sont mises à mal par les grandes réformes telles que la réingénierie de l’État. Elle est déjà très loin l’époque où les Monique Jérôme-Forget de ce monde vantaient sans complexe les mérites des partenariats publics-privés et autres mécanismes de marché pour leur soi-disant supériorité face à la planification étatique conventionnelle.

Il n’est donc guère surprenant que les institutions internationales aient évolué au fur et à mesure que grandissait le sentiment de dépossession au sein des populations et des gouvernements. La déconnexion des idéologues nostalgiques du libéralisme économique débridé qui prêchent pour un retour aux contraintes budgétaires est aussi nuisible à nos sociétés que les mouvances politiques démagogiques et nauséabondes qui prolifèrent depuis quelques années. En d’autres mots, la classe politique qui a rendu possible le phénomène Donald Trump, diraient certains, est aussi dangereuse que Donald Trump lui-même.

La déconnexion dont fait preuve un André Pratte ressemble peut-être à celle qui caractérisait les curés catholiques au Québec à la fin des années 50. Alors que le monde est en effervescence, avec son lot de périls et d’opportunités, certains voudraient enfermer la province dans des idées rétrogrades.

Or, il y a de nombreux enjeux qui méritent aujourd’hui notre attention, incluant certains qui concernent l’avenir de l’espèce humaine. Les conservateurs fiscaux auront fort à faire dans les prochaines années pour convaincre les populations que le déficit zéro est plus important que la décarbonisation de l’économie.

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