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L’autre personnalité de l’année : les partis critiques du capitalisme

31 décembre 2014

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6min

  • Guillaume Hébert

Deux défis politiques majeurs sont posés à l’économie libérale en Europe. D’une part, il y a tous ces mouvements xénophobes, ultranationalistes, racistes ou même néo-nazis qui offrent des solutions simplistes face à la conjoncture économique. Ce faisant, ils canalisent le désespoir populaire et les sentiments d’angoisse contre « l’étranger » : le voisin qui parle avec un accent, l’éducatrice qui porte un foulard ou encore le travailleur immigrant transformé en voleur de job. L’année 2014 les a vu progresser – dans certains cas parvenir à se « dédiaboliser », donc à se rendre socialement acceptables – et l’extrême-droite pourrait former des gouvernements en Europe très bientôt.

La bonne nouvelle pour celles et ceux qui ne prisent pas la progression de cet obscurantisme, c’est la victoire désormais possible d’une nouvelle génération de partis politiques cette fois de gauche dans le Sud de l’Europe. Rappelons que c’est dans cette partie du Vieux Continent qu’ont été appliquées les politiques d’austérité les plus sévères. En 2014, la popularité de ces formations politiques qui portent des propositions économiques audacieuses s’est confirmée d’abord en Grèce et en Espagne. Elles proposent de résoudre la crise économique de ces pays et de l’Europe en renforçant le pouvoir populaire plutôt qu’en poursuivant son affaiblissement sous l’érosion des politiques néolibérales qui lui préfèrent la mise en compétition des citoyen.ne.s entre eux. En somme, plutôt que de confier l’économie à des technocrates présentés comme apolitiques et de laisser une élite d’affaires continuer à s’enrichir avec la complicité de l’État, les peuples grec et espagnol s’apprêtent à soumettre le capitalisme à la démocratie.

Syriza

Il y a d’abord Syriza, en Grèce. Cette « Coalition de gauche radicale » existe depuis 2004, mais elle est devenue un acteur politique de premier plan en Grèce durant la crise économique dévastatrice qu’a connu ce pays. Elle s’était opposée aux politiques d’austérité imposées par l’Union européenne et acceptées par les partis traditionnels du pays. Il est désormais reconnu que les plans de sauvetage et les programmes d’austérité ont gravement empiré la situation de l’économie grecque où le chômage est aujourd’hui supérieur à 25%, où 40% des enfants vivent dans la pauvreté et où la dette représente 175% du PIB. En 2013, Syriza est devenu un parti et a adopté un programme politique qui comprend des propositions économiques qui remettent en question l’économie de marché qui domine les discours depuis 35 ans. S’inspirant de la formule vénézuélienne, il propose un « socialisme du XXIe siècle » qui procèderait à une transformation écologique de l’économie. Syriza pourrait former le gouvernement grec dès janvier.

Il sera intéressant de lire les propositions que mettra de l’avant le parti dans la campagne électorale qui vient de s’ouvrir en Grèce. Les 40 points de la plateforme de 2012 donnent néanmoins une bonne idée de ce que Syriza met de l’avant. L’article 1 de la plateforme consiste à réexaminer la dette afin de la renégocier. En attendant le résultat de cette révision et une amélioration de l’état de l’économie, les paiements seront suspendus. Syriza propose de nationaliser les banques en commençant par celles qui ont été sauvées par les deniers publics et de renationaliser les entreprises privatisées durant les réformes néolibérales. Le parti suggère également d’ajouter un palier d’impôts à 75% pour les revenus au-delà de 500 000€, l’augmentation de l’impôt des sociétés à la moyenne européenne, des nouveaux impôts qui s’appliqueront sur les transactions financières et sur les biens de luxe et l’interdiction de produits financiers spéculatifs. Les revenus dégagés doivent permettre d’élargir considérablement les services publics (et de les rendre gratuits aux plus vulnérables), d’augmenter le salaire minimum ou encore d’aider les familles qui peinent à rembourser leur hypothèque.

Podemos

En Espagne, le parti politique Podemos a été créé il y a à peine un an et il figure déjà au premier rang des intentions de vote en vue des élections de 2015. Près de 30% des électeurs et des électrices disent avoir l’intention de choisir ce parti qui propose une rupture avec l’ordre politique et économique en place. Contrairement à Syriza, le parti n’est pas le résultat d’un rassemblement de petites organisations politiques de gauche, mais plutôt le fruit de mobilisations citoyennes qui se sont produites dans la foulée de la crise économique espagnole déclenchée à la suite de l’éclatement d’une bulle immobilière. Podemos s’est ainsi construit sur le célèbre mouvement des Indignés (inspiré par le Printemps arabe et ayant inspiré à son tour le mouvement Occupy en Amérique Nord) et mise sur un renouvellement du discours politique désignant notamment une « caste » au pouvoir qui renferme tous les représentant,e,s de l’élite et des partis politiques traditionnels.

Un cahier de propositions économiques a été rendu public en novembre et pourrait se retrouver au cœur de la prochaine plateforme politique de Podemos. Le document s’amorce par une citation de Rosa Parks, l’icône du mouvement des droits civiques aux États-Unis : « Plus nous obéissions, pire ils nous traitaient » et le contenu est effectivement frondeur à une époque où il est extrêmement difficile d’aller à l’encontre des dogmes de l’économie de marché. Podemos s’apprête ainsi à proposer de faire du crédit et du financement de l’économie un « service public essentiel » dont seraient chargées des banques « publiques et citoyennes ». Comme en Grèce, le parti s’engage à réexaminer la dette publique et à la restructurer. Il proposera vraisemblablement un salaire maximum calculé en fonction du salaire moyen, la semaine de travail à 35 heures et toute une série de mesures pour restreindre le travail précaire et redonner une protection sociale à toutes celles et ceux qui l’ont perdue au cours des dernières années. À propos du capitalisme, les auteurs du document affirment que « l’humanité doit dépasser ce système économique injuste et irrationnel et aspirer à un monde plus équitable, efficient et humain ».

Irréaliste?

Est-ce que ces partis politiques parviendront, s’ils forment des gouvernements, à mettre en place des positions aussi radicalement opposées aux façons de faire actuelles? Le défi est colossal et ces programmes ne pourront sans doute pas être appliqués intégralement en 2015, mais ils confirment déjà la cristallisation de revendications démocratiques qui visent notamment le fonctionnement de l’économie et qui se font entendre depuis le déclenchement de la crise de 2008, voire même depuis les premières heures du mouvement antimondialisation des années 90. Fait important, tant Syriza que Podemos ne préconisent pas un repli national, mais bien le début d’un processus politique paneuropéen qui mènerait à la refondation de l’Union européenne dont la mouture actuelle a été fondue dans des principes néolibéraux.

Au Québec, on a peu parlé de ces propositions politiques critiques du capitalisme en 2014, mais elles pourraient défrayer les manchettes régulièrement en 2015. Ces contributions sont plus que bienvenues à l’heure où le caractère insoutenable du néolibéralisme est chaque jour plus évident au regard de l’avenir des populations et des écosystèmes. Syriza, Podemos et plusieurs autres formations politiques donnent une nouvelle chance à la démocratie et à la solidarité face à la montée de l’irrationalisme et la barbarie d’extrême-droite qui menacent de projeter tout le monde dans l’abîme.

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