L’autre personnalité 2012 : le camp de travail chinois
2 janvier 2013
Nous aurions pu facilement reprendre cette année, notre personnalité de l’année 2011 : les agences de notation. Cependant, comme nous souhaitons avec cette personnalité jeter la lumière sur des phénomènes qui restent dans l’ombre, nous n’aurions pas fait œuvre utile car, en 2012 le nom des agences de notation a été sur toutes les lèvres (y compris les nôtres).
Par contre, si on a beaucoup parlé de la Chine en 2012, notamment pour la contraction « inquiétante » de sa croissance, on n’a pas beaucoup parlé de ses travailleurs et travailleuses et de leurs conditions de travail. Pourtant, la Chine est désormais le plus grand producteur de biens de consommation au monde et notre vie quotidienne est remplie de ses produits. En effet, le « Made in China » n’est plus seulement l’apanage des babioles cheap, mais bien de plusieurs produits de consommation courante : des ordinateurs à la vaisselle en passant par les voitures, pour ne nommer que quelques exemples. Dans ce contexte, comment sont produits ces biens devrait nous préoccuper, puisque leur mode de production met un peu à mal notre conception de ce qu’est le développement dans notre système économique.
Le système concentrationnaire chinois
Tout récemment, une lettre d’un travailleur Chinois aurait été glissée dans des décorations d’Halloween (quel à-propos macabre, n’est-ce pas?), demandant à qui la trouverait de contacter l’organisation internationale des droits de l’homme pour dire que le camp de travail dans lequel il se trouvait contrevenait à ces droits. Pour nombre d’Occidentaux, cette idée de camp de travail en Chine paraîtra surprenante. Bien qu’on sache que les Chinois sont peu payés au travail, on n’entend rarement parler du fait qu’un nombre des produits que nous consommons sont en fait le produit de travaux forcés, exécutés par des prisonniers en camp de travail.
Les Laogai, des camps de rééducation politique par le travail, sont la pointe de l’iceberg du système de travail forcé en Chine. Dans ces camps, qualifié par un ancien prisonnier comme étant pire que les goulags soviétique, plusieurs centaines de milliers, voire millions de personnes (le nombre exact est inconnu) travaillent plus de 14 heures par jour et on y dénombre viols, exécutions sommaires et meurtres de masse. On peut y être condamné pour avoir partagé une opinion contraire à celle du gouvernement ou pour être réputé avoir des activités séditieuses. La condamnation y est sans appel et on peut y rester plusieurs années, voire plusieurs décennies. Ce vidéo montre quelques images troublantes, tout comme ce reportage de France 24.
Ces camps de travail politique ne sont pas les seuls camps de travail. En effet, les conditions normales de travail semblent être en tout point semblables, outre les assassinats, à celles des camps politiques. Voici quelques extraits à propos des conditions de travail (glanées ici et là) en Chine.
« Les ouvriers ne peuvent pas gagner un salaire leur permettant de vivre avec leurs seules heures de travail normales et sont contraints d’effectuer un trop grand nombre d’heures supplémentaires”. […] La durée du travail est comprise entre 10 et 14 heures par jour, avec de fortes variations saisonnières, liées à la demande pour des produits sans cesse mis à jour ou renouvelés. Durant la haute saison manufacturière, les ouvriers font des heures supplémentaires excessives, travaillant souvent jusqu’à l’épuisement […] les ouvriers devaient répéter la tâche qui leur était assignée toutes les trois secondes, debout et sans discontinuer pendant dix heures. »
« Entre janvier et novembre 2010, 18 salariés de Foxconn se sont jetés du haut des dortoirs où ils logeaient : 14 sont parvenus à mettre fin à leurs jours. Un rapport produit par 20 universités chinoises qualifia alors ces usines de «camps de travail». La vague de suicides s’est estompée depuis que Foxconn a fait placer des filets sous les fenêtres de certains dortoirs. L’entreprise a également «privatisé» une partie de ses logements afin de se dégager de toute responsabilité directe. De manière assez singulière, la direction demande depuis 2011 à ses recrues de signer un document engageant leurs familles à ne pas solliciter d’indemnisation s’ils mettent fin à leurs jours. »
On peut trouver ici quelques photos saisissantes de ces lieux de travail.
Ce que les camps de travail chinois révèlent sur notre économie
Selon la doxa économique dominante, ce qui fait la force de l’économie mondiale, c’est la compétition, le libre-marché et la liberté individuelle. Or, voilà que 20% de la production de biens mondiale, produits dans la deuxième plus grande économie du monde (au niveau du PIB), provient finalement d’un pays:
- où la structure économique, malgré la présence d’entreprises privées, est largement planifiée et le système politique autoritaire;
- où il existe des camps de travail où l’on peut être envoyé pour délit d’opinion politique;
- où une bonne partie de la production qui n’est pas faite dans ces camps est faite dans des conditions de contrainte et d’oppression tel qu’il est impossible de parler même de l’ombre d’une liberté.
Et, bien sûr, la Chine n’est pas le seul pays qui évolue dans ce contexte. Que dire des conditions de travail au Mexique ou aux Philippines? Que dire du caractère autoritaire des organisations économiques de ces États? Devant des consommateurs occidentaux de plus en plus endettés, mais qui veulent et doivent continuer leur même niveau de consommation pour à la fois maintenir leur style de vie et consolider la place occupée par leurs pays dans l’espace économique mondial.
Alors, la prochaine fois qu’on vous dira que l’économie planifiée est un échec ou que c’est la libre compétition entre agents économiques qui produit la richesse, jetez un coup d’œil à votre iPhone et rappelez-vous qu’une bonne part de notre économie est fondée sur le travail forcé et la planification autoritaire.