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L’austérité ou la démocratie confisquée

28 janvier 2015

  • Julia Posca

L’austérité est sur toutes les lèvres au Québec depuis le retour au pouvoir des Libéraux en avril 2014. Le climat politique qui règne chez nous fait écho à la « crise budgétaire » qui affecte l’Europe depuis la crise financière et économique en 2008.

Pourtant, des deux côtés de l’Atlantique l’austérité budgétaire n’est pas une simple réaction à la crise économique. Malgré l’ampleur qu’a pris la politique de l’austérité depuis sept ans, l’obsession pour l’équilibre budgétaire est apparue bien avant que n’éclate la bulle des subprimes et qu’elle n’emporte avec elle l’économie mondiale. L’austérité est simplement la forme que prend aujourd’hui l’enjeu de l’équilibre des finances publiques.

Il faut remonter au milieu des années 1970 pour trouver les premières manifestations de la lutte que mènent les gouvernements contre l’endettement public (dans sa version néolibérale du moins). À l’époque, l’inflation grimpante et les désordres mondiaux occasionnent un ralentissement économique qui mine les finances des États. Les dépenses sociales, qui se sont considérablement accrues après la Deuxième Guerre mondiale, sont prises pour cible par ceux qui souhaitent réduire l’étendue de l’économie publique. Tout cela au profit de la marchandisation des services publics et de la privatisation de certaines fonctions de l’État. La doctrine néolibérale a le vent dans les voiles alors qu’aux quatre coins du globe des politiciens critiques de l’État-providence sont portés au pouvoir (Thatcher au Royaume-Uni, Reagan aux États-Unis, Mulroney au Canada, Bourassa au Québec) ou « installés » au pouvoir (Pinochet au Chili ou Videla en Argentine).

Cette montée du néolibéralisme est allée de pair avec une croissance de l’économie financière, que la libéralisation et la globalisation des marchés ainsi que la dérèglementation du secteur financier ont rendu possible. C’est dans ce contexte que les agences de notation ont pris du gallon. Avec l’accroissement des échanges sur les marchés financiers, les acteurs économiques se sont tournés vers elles pour évaluer les risques liés à divers placements et emprunts. Les États, qui émettent des titres de dette pour combler leur déficit budgétaire, se sont soumis au jugement des agences en matière d’endettement et, incidemment, de gestion des finances publiques.

Le statut d’expert accordé aux agences, ainsi que la nature du problème (l’équilibre entre les revenus et les dépenses) sur lequel on leur demande d’intervenir créent l’illusion qu’elles émettent des évaluations neutres à propos de questions d’ordre technique. Pourtant, tout indique que les évaluations qu’elles effectuent sont hautement prescriptives : elles suggèrent un type particulier de politique budgétaire axé sur une contraction des dépenses sociales. Des recherches menées sur le comportement des gouvernements vis-à-vis de l’évaluation financière ont clairement démontré que les agences de notation influençaient les décideurs publics dans le sens d’une plus grande orthodoxie budgétaire.

Le fait d’inscrire le principe du déficit zéro dans la loi (le Québec l’a fait en 1996) témoigne du fait que la classe politique a largement intériorisé le point de vue des entreprises de notation (et de la finance en général). La menace de décote, constamment brandie par nos élus, court-circuite les débats sur les finances publiques en instaurant dans l’opinion publique un climat de peur et d’urgence. Il suffit pour s’en convaincre d’entendre le premier ministre Philippe Couillard dire à la journaliste Céline Galipeau, dans une entrevue diffusée sur les ondes de Radio-Canada en décembre 2014 à propos de la nécessité d’atteindre l’équilibre budgétaire, « qu’on peut plus se permettre de repousser à plus tard ce qui aurait dû être fait » et que de toute façon, les agences de notation, « contrôlent les finances publiques du Québec, qu’on le veuille ou non ».

L’austérité apparaît alors pour ce qu’elle est : une fatalité qui nous prive de notre capacité de choisir. Difficile de ne pas voir dans ce chantage une forme de confiscation de la démocratie. À l’inverse, on peut toutefois penser que la seule manière de démolir les services publics pour mieux en finir avec la solidarité sociale et, au passage, rejoindre l’effort mondial en matière de croissance des inégalités, est effectivement d’enlever aux citoyen.ne.s tout pouvoir d’en décider autrement.

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