La Troïka à la Grèce: Même vos enfants y passeront!
5 août 2015
L’inhumanité de l’austérité est rendue clairement visible par la souffrance qu’elle inflige aux enfants. Ceci est particulièrement vrai en Grèce, où les enfants ont encaissé une large part des effets négatifs découlant de l’assaut de la troïka.
Au moment d’écrire ces lignes, à Athènes, l’Hôpital pour Enfants Aglaia Kyriakou risque de voir son département de radiothérapie pour enfants atteints du cancer disparaître à cause d’un manque de financement. Ses services de traitements sont uniques en Grèce.
Les enfants resteront marqués par les conséquences de l’austérité pour longtemps, et certains verront même leur vie affectée de façon permanente. C’est parce que vivre dans une famille dans laquelle des membres sont sans emploi ou perdent une bonne partie de leurs revenus se traduit par une moins bonne alimentation; des niveaux de stress plus élevés; de la difficulté à réussir à l’école; et ainsi de suite.
Nous ne devrions donc pas nous étonner que ces impacts ne soient pas mesurés et suivis de façon assidue. Les données les plus récentes datent souvent de 2012 ou 2013. Le contraste avec l’abondance de données financières et économiques publiées chaque jour fait comprendre les priorités de ceux qui sont au pouvoir.
Un rapport d’Unicef publié l’an passé et s’appuyant sur des données officielles présente une image sombre de la situation des enfants en Grèce et dans d’autres pays développés depuis 2008.
Étudiant 41 pays riches, le rapport mentionne que depuis 2008, 2.6 millions d’enfants de plus ont sombré dans la pauvreté que ceux qui en sont sortis (6.6 millions contre 4 millions), pour un total d’environ 76.5 millions dans les 41 pays. La conclusion : la « Grande Récession a particulièrement touché les plus faibles, sans doute de manière plus durable… Les progrès réalisés dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la protection sociale ces 50 dernières années sont désormais menacés ».
Par ailleurs, le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) est monté en flèche. Depuis 2008, le nombre de jeunes ne travaillant pas et ne suivant ni études ni formation (NEET, en anglais : not in education, employment or training) en Europe a augmenté d’un million, pour un total de 7.5 millions. Nous assistons à une véritable « épidémie de chômage des jeunes », une « pathologie de l’austérité ».
La Grèce se classe parmi les pays les plus affectés, et de loin. Considérant que la situation s’est assurément empirée depuis 2012, année des plus récentes données utilisées par le rapport, la réalité actuelle est donc encore plus sombre.
Le rapport compare comment certains indicateurs ont changé entre 2008 et 2012. Voici quelques-uns des résultats.
Augmentation de la pauvreté des enfants: La Grèce se classe 40ème sur 41 pays (c’est-à-dire, presque le pire pays). Son taux de pauvreté des enfants a augmenté de 23% à 40.5%. Le Mexique, le Chili, la Lituanie, la Lettonie et la Turquie ont mieux fait, même s’ils sont considérés moins développés ou européens que la Grèce.
Augmentation du taux de chômage des jeunes (15-24 ans): Le taux atteint maintenant plus de 50%. La Grèce se classe aussi au 40ème rang pour l’augmentation de son taux de jeunes ne travaillant pas et ne suivant ni études ni formation (NEET), qui a empiré de 11.7% en 2008 à 20.6% en 2013.
(Le taux de chômage de 50% est plus élevé que le taux NEET car ce dernier divise le nombre de jeunes NEET par la population totale de jeunes de 15-24 ans, tandis que le taux de chômage divise le nombre de jeunes sans emploi par le nombre de jeunes faisant partie du marché du travail, un nombre plus petit que le nombre total de jeunes puisqu’il ne comprend pas les étudiants).
Augmentation du dénuement matériel sévère: Ce taux a doublé en Grèce pour atteindre 20%, le pire changement en Europe mise à part la Hongrie. Les enfants sont considérés comme gravement défavorisés s’ils vivent dans un ménage qui n’a pas les moyens de payer au moins quatre de neuf éléments déterminés, comme un loyer, le chauffage, un repas de protéines régulier, etc. Par exemple, depuis 2008, le pourcentage de ménages avec des enfants qui ne peuvent se permettre un repas avec viande, poisson ou un équivalent végétarien a plus que doublé, atteignant 18% en 2012.
Quatre questions furent posées aux citoyens des 41 pays sur le thème « comment votre vie a-t-elle changée entre 2007 et 2013? »: (1) Les enfants de votre pays ont-ils la possibilité d’apprendre et de se développer? (2) Avez-vous manqué d’argent cette année pour acheter de la nourriture pour votre famille? (3) Avez-vous été stressé aujourd’hui? (4) Êtes-vous satisfaits de votre vie actuelle?
Au total, la Grèce se classe 41ème, et par question : (1) 41ème, (2) 39ème, (3) 39ème, (4) 41ème.
En résumé, les élites politiques aiment bien se faire photographier avec des enfants pendant leurs campagnes électorales. Ça les fait paraître généreux, doux et gentils. Cependant, les faits parlent d’eux-mêmes. Les enfants ne sont pas une priorité, et l’establishment européen s’en balance complètement.
Julien Mercille | Enseignant à University College Dublin, Irlande | Membre du Comité de Solidarité Irlande-Grèce | Auteur Deepening Neoliberalism, Austerity, and Crisis: Europe’s Treasure Ireland (Palgrave) | Montréal et Dublin | Twitter: @JulienMercille