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La santé, un problème d’organisation ou de financement ? Les trois démons du système de santé

16 février 2018

  • Guillaume Hébert

Les problèmes qui minent le système de santé et de services sociaux du Québec ne sont pas liés à la quantité d’argent qu’on y injecte. Avec un budget de 40 milliards correspondant à plus de 10 % du PIB, nous y consacrons des ressources considérables. C’est notre façon d’attribuer ces ressources et d’organiser le système qui pose problème. Nous identifions plus exactement trois maux dont souffre le réseau sociosanitaire.

Premier problème: le statut des médecins

Plutôt que d’être des salariés comme les autres professionnels de la santé rémunérés par le gouvernement, les médecins ont obtenu le statut exceptionnel de travailleurs autonomes. À plusieurs égards, c’est un non-sens. Le médecin est entouré de travailleuses salariées, il utilise les installations publiques ou est généreusement financé pour faire fonctionner les siennes, et, avec la RAMQ comme unique client, n’a pas à se soucier de se tailler une place sur le marché.

À ce statut d’exception, qui nuit à la collaboration avec leurs collègues et les gestionnaires, s’ajoute la fameuse rémunération à l’acte qui induit une pression productiviste, désincite à la délégation d’actes ou à la recommandation de patients et entraîne une lourdeur bureaucratique imposante dont bien des médecins souhaiteraient être libérés ; sans compter la RAMQ qui admet ne même plus être capable de garantir la validité des actes médicaux qu’elle rembourse.

Puis vient la question de la rémunération des médecins qui frise désormais l’absurde. Mentionnons seulement que les médecins nous coûteraient jusqu’à 4 milliards de moins s’ils étaient rémunérés selon un ratio similaire à celui des autres pays de l’OCDE, soit tout de même trois ou quatre fois le salaire moyen.

Deuxième problème: le financement privé

Fait méconnu, près de 30 % des dépenses de santé au Québec sont privées. C’est nettement plus que des pays comparables comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France ou les pays scandinaves où cette proportion oscille entre 15 % et 20 %. Or, en santé, le privé coûte cher et ne parvient pas à répondre adéquatement aux besoins de la population.

Au Québec, le régime hybride public-privé d’assurance-médicament illustre à petite échelle cette dysfonction.

En choisissant ce type de régime en 1997, nous nous sommes dotés d’un mécanisme qui garantit la rentabilité des régimes privés qui accaparent la population active et laisse l’assureur public se débrouiller avec les « restants ». Le résultat est inefficace en termes de coût, d’accessibilité et d’équité, et la logique, intenable.

Comme aucun des acteurs de ce régime hybride ne peut ou n’essaie de négocier les prix des médicaments à la baisse, leur coût par habitant est 20 % plus élevé que dans l’ensemble du Canada et 80 % plus cher que la moyenne de l’OCDE. Un régime entièrement public nous permettrait d’économiser près de 4 milliards de dollars.

Troisième problème: la « gouvernance entrepreneuriale »

Ce changement de paradigme administratif consiste à reproduire dans le secteur public les méthodes de gestion de l’entreprise privée. L’État québécois s’est lancé dans cette direction au tournant des années 2000.

Or, si les effets délétères de l’austérité, de la pénurie de personnel et du minutage des moindres gestes des travailleuses du réseau sont bien connues, on ne tient pas compte de l’impact redoutable du sentiment de dépossession vécue par les populations vis-à-vis d’institutions publiques censées leur appartenir lorsqu’elles rompent avec une approche démocratique des services.

Au Québec, les gouvernements ont aboli les instances participatives et toutes les voix potentiellement discordantes au sein du réseau de la santé : du Commissaire à la santé et au bien-être jusqu’à l’AQESSS (qui n’avait pourtant rien d’une contestataire) en passant par des centaines de C.A. indépendants. D’un système pensé pour porter les préoccupations des communautés locales et l’expertise du personnel soignant sur le terrain « vers le haut », on s’est retrouvé avec un système ultra-centralisé qui impose ses vues en fonction de considérations essentiellement budgétaires.

Un système de santé ne peut répondre adéquatement aux besoins d’une population qu’il n’écoute pas, c’est-à-dire, qu’il n’implique pas dans ses prises de décisions.

Pour les technocrates néolibéraux, les patients ne sont que des clients et les problèmes de santé sont individualisés, contrairement à ce que l’on sait depuis des décennies à propos des déterminants sociaux de la santé (le travail, les inégalités, etc.). Croyez-vous, par exemple, que le système de santé ou la médication vont régler la pandémie de maladie mentale que connaissent nos sociétés ?

Il est illusoire de penser redresser notre système sociosanitaire sans mettre un frein au régime de privilèges dont jouissent les médecins, sans réduire le financement privé et sans renverser la tendance actuelle qui voudrait qu’un réseau de santé qui prend soin d’êtres humains puisse être géré comme des firmes cotées en Bourse.

Ce billet est d’abord paru sous forme de lettre dans l’édition du 16 février 2018 de La Presse

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