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La réalité derrière les « marchés comparables » des hauts-fonctionnaires québécois

29 mai 2019


Pour justifier l’augmentation des salaires des hauts fonctionnaires québécois et leur importante disparité avec le salaire moyen, le premier ministre déclarait récemment que l’État devait se mettre au diapason de ce qui existe sur les différents marchés :

« Il y a des postes comparables qui existent dans l'entreprise privée. Il y a des postes comparables qui existent dans les États autour du Québec. On ne peut pas s’isoler de la réalité des marchés » (La Presse, 16 mai 2019)

L’un des facteurs d’augmentation de la rémunération des dirigeants d’entreprises cotées est justement le recours à un marché de référence élaboré par des firmes-conseils. Dans mes travaux, j’ai pu constater que le recours à de telles firmes concernait, en 2004, 13 des 28 plus importantes entreprises au Québec, alors qu’en 2012, 26 d’entre elles utilisaient un tel service, soit 93%.

Comment procèdent ces firmes-conseils ? Elles colligent toutes les informations concernant la rémunération des entreprises-clientes et établissent un « marché de référence » qui compare les entreprises d’un même secteur dotées d’une capitalisation boursière similaire, lorsque cela est possible. La plupart du temps, la variété des entreprises est si restreinte qu’il est difficile, voire impossible d’obtenir une comparaison sur plusieurs dimensions (secteur d’activité, zone géographique, etc.). Ce marché n’est pas nécessairement québécois et dépend essentiellement des clients à qui la firme-conseil offre ses services. Conséquemment, le marché de référence n’est pas statistiquement représentatif. Il est une construction complètement arbitraire.

Comme on le voit dans le graphe suivant, il s’établit une certaine homogénéité entre une firme-conseil (triangle) et la hauteur de la rémunération octroyée aux dirigeants des entreprises qui sont ses clientes (carré). La firme Towers Watson semble néanmoins en mesure d’établir plusieurs niveaux de rémunération et fournit des plans de rémunération à plusieurs entreprises qui ont des activités diversifiées.

Il est donc probable que la rémunération des dirigeants d’entreprises ait beaucoup plus à voir avec la firme-conseil choisie qu’avec la performance du dirigeant, ses compétences et ses expériences.

Dans les sociétés d’État, le recours aux firmes-conseils s’est également généralisé sous l’effet de la nouvelle gestion publique. Pour la Caisse de dépôt et placement du Québec, on a élargi le bassin d’entreprises au Canada et, dans certains cas, à l’Amérique de Nord pour les postes de chef de la direction et ceux qui sont liés à l’investissement (des secteurs et des régions où les rémunérations sont plus élevées). Les entreprises québécoises n’ont été retenues pour fin de comparaison uniquement que pour les autres postes non liés à l’investissement (où la croissance des rémunérations est plus faible, voire stagnante). Une telle pratique contribue indéniablement à l’accroissement de l’inégalité salariale entre les employés de la Caisse. L’utilisation des plans de rémunération concourt ainsi à l’effet de spirale vers le haut chez les dirigeants.

Il est questionnable qu’un dirigeant, du secteur privé comme public, qui travaille au Québec et qui bénéficie des infrastructures et des services publics québécois soit comparé à un dirigeant de New York ou de la Silicon Valley, où les études supérieures, le logement et les soins de santé et, plus généralement, le coût de la vie sont beaucoup plus onéreux. Ainsi, lorsqu’il affirme que « [dans le] système capitaliste, le moins pire système, ça suppose d’offrir aux gens qui travaillent dans la fonction publique des salaires qui sont compétitifs », François Legault devrait avoir en tête les ingénieur·e·s, les enseignant·e·s et les autres travailleurs et travailleuses du secteur public, plutôt que ses semblables de l’élite des affaires.

Photo : Radio France / Thomas Jost

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