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La productivité au Québec : choisir les données

3 juin 2014

  • Mathieu Dufour

Jérôme Lussier, a récemment publié sur le blogue politique de L’actualité une critique de l’étude qu’Eve-Lyne Couturier et moi avons réalisée début mai « Productivité : Le Québec est-il en retard ?». Ce texte m’est apparu comme un bon prétexte de préciser certains aspects de notre pensée. Voici donc une réponse à son billet.

Quoique le travail de discussion et de questionnement critique soit souvent une bonne occasion de faire progresser le débat, celui-ci, pour être utile, doit faire montre d’au moins trois éléments : (1) Une certaine compréhension du propos; (2) une bonne lecture de ce qui est critiqué; et (3) dégager des éléments positifs afin de projeter l’analyse vers l’avant. Malheureusement, la critique de Lussier est assez pauvre à ces trois niveaux.

Lussier débute son analyse en nous parlant du PIB, qu’il prend comme mesure de l’activité économique, et dit qu’il y a trois facteurs déterminants pour celui-ci : le travail, les moyens de production (capital) et la productivité. Globalement, il nous présente le travail, le capital et la productivité comme étant à toutes fins pratiques indépendants les uns des autres. Dans un pays donné, on aurait donc un certain nombre de travailleuses et travailleurs et une certaine quantité de capital. Dans ce contexte, la productivité est présentée comme la capacité à tirer une grande valeur du produit des heures travaillées avec le capital disponible. Pour illustrer son propos, Lussier imagine deux pays avec le même capital et les mêmes travailleuses et travailleurs, mais l’un choisit de produire un prototype de moteur à hydrogène et l’autre un complexe hôtelier, le moteur valant davantage. Le premier pays serait donc plus productif.

Le recours à ce type de format schématique occulte la nature du phénomène. Être productif, dans le cas qui nous occupe, ce n’est pas vraiment d’opter pour un moteur à hydrogène plutôt que pour un hôtel, mais bien de produire beaucoup de valeur par heure travaillée. À cette fin, capital et travail ne sont pas indépendants l’un de l’autre. Les moyens de production utilisés par les salarié.e.s ont une influence importante sur l’organisation du processus de travail – une chaîne de montage requiert des types de machines précises, par exemple – et en retour, la main-d’œuvre a un effet déterminant sur la manière dont le capital peut être employé.

Par ailleurs, capital et travail ne sont pas des quantités indifférenciées qu’on peut dédier à certaines tâches ou bien à d’autres. En d’autres termes, la main-d’oeuvre et les moyens de production ne sont pas interchangeables instantanément entre différents processus de production. Les capacités de production d’une région donnée sont donc fortement tributaires de l’évolution historique de la structure socio-économique de cette région, de son organisation politique, de son climat, etc. De plus, de nombreux facteurs influent sur la productivité, comme les politiques publiques ou encore la disponibilité d’un système de santé.

Pour mesurer la productivité du travail, on regarde généralement la valeur produite par heure travaillée. En tenant compte de la complexité des processus de production et de la multitude de facteurs qui les influencent, cette mesure n’est pas simplement une réflexion de la nature de ce qui est produit, comme le sous-entend Lussier, mais aussi de l’efficience avec laquelle la production est effectuée. 

Faire cette distinction nous permet de creuser plus avant les déterminants de la productivité d’une région, et c’est précisément ce que nous faisons dans notre étude. En ajustant le calcul de la productivité en fonction des différences de structures industrielles entre les provinces, nous pouvons poser la question suivante : quand les travailleurs et les travailleuses québécois.e.s mettent un nombre d’heure donné dans un secteur donné, comment la valeur de ce qu’ils produisent se compare-t-elle avec ce qui est produit en Ontario pour un nombre d’heures semblable?

Lussier argumente que cette méthodologie revient à comparer le Québec à lui-même. Je dois admettre que je peine à comprendre comment et pourquoi ce serait le cas, la comparaison avec l’Ontario étant au centre de notre étude. Simplement, nous avons isolé une dimension précise de la question pour mieux comprendre à quoi tient la différence globale observée. Nos résultats démontrent que dans les faits, à structure industrielle équivalente, les salarié.e.s québécois.e.s font mieux qu’en Ontario. D’ailleurs, comme on nous l’a souligné suite à la publication, si on tient compte en plus des différences de prix entre provinces (les prix sont plus bas au Québec, donc une mesure de ce qui y est produit tend à en sous-estimer la valeur relative), l’écart de productivité entre le Québec et l’Ontario s’inverse davantage en faveur du Québec.

Contrairement à ce qu’affirme Lussier en utilisant une analogie sportive douteuse, la comparaison que nous effectuons revient non pas à enlever ce qui est bon chez l’autre équipe [province], mais à ajuster certaines différences pour en isoler d’autres et ainsi mieux comprendre nos propres performances. C’est sur la base d’une telle comparaison que nous disons que la différence de productivité entre l’Ontario et le Québec ne semble pas tenir à la productivité des travailleurs et travailleuses québécois.e.s à proprement parler, mais bien à la structure industrielle des deux provinces.

Il ne s’agit cependant pas de se péter les bretelles comme Lussier nous accuse de le faire, mais plutôt de bien comprendre l’enjeu. Si à structure industrielle égale, la main-d’œuvre québécoise fait mieux qu’en Ontario et pratiquement aussi bien que dans le reste du Canada, alors il faut se pencher sur ladite structure industrielle si on veut améliorer notre productivité, en considérant en particulier les politiques industrielles du gouvernement. Lussier lui-même souligne que l’exercice serait intéressant, mais omet de dire que c’est exactement ce que nous recommandons dans la conclusion de notre étude. Par ailleurs, comme nous le notons, l’exercice permet aussi d’isoler certains secteurs qui semblent tirer de la patte au Québec, comme celui de la construction. Une fois ces secteurs identifiés, on peut donc se pencher plus particulièrement sur ceux-ci et cibler les interventions, une démarche probablement plus utile qu’en rester à des considérations générales sur l’économie québécoise.

Si le problème est mieux identifié, il n’y a malheureusement pas de solution magique;  la structure industrielle d’une région est le résultat de tout un ensemble de processus historiques, de contraintes naturelles, de choix politiques, etc. Lussier reconnaît que le Québec ne peut pas s’inventer une réserve de pétrole comme en Alberta; il a raison. Cependant, il existe des contraintes tout aussi importantes pour d’autres secteurs : la bourse canadienne est à Toronto,  le pacte de l’auto et la politique industrielle subséquente a amené une concentration de l’industrie automobile en Ontario,  etc. Là encore, il ne s’agit pas de se lamenter sur notre sort, mais de comprendre ce qui a généré la situation présente et de voir ce qu’on peut faire avec ce qu’on a. S’inspirer de l’Ontario comme le suggère Lussier? Peut-être, mais surtout évaluer ce qui peut être fait au Québec au vu des contraintes et des possibilités auxquelles nous faisons face, en comprenant qu’il n’y a pas que les gisements de pétrole qu’on ne puisse pas dupliquer.

Lussier nous accuse de manipuler nos données pour atteindre la conclusion recherchée. L’accusation porterait davantage s’il avait bien cerné notre méthodologie et s’il avait pris le temps de lire ladite conclusion. La critique elle-même pourrait néanmoins être utile s’il proposait autre chose, finalement, qu’une version édulcorée de ce que nous proposons déjà nous-mêmes. Il est tout de même amusant de constater un tel emprunt de la part de quelqu’un qui accuse l’IRIS de s’en tenir à des conclusions prévisibles et unidirectionnelles dans l’ensemble de ses études.

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