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La nouvelle grille tarifaire des omni est sexiste

18 octobre 2016

  • CH
    Céline Hequet

On apprenait récemment que la Dre Évelyne Bourdua-Roy avait subi une baisse de salaire de 15 % à cause de son congé de maternité. En effet, pendant ce congé, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a signé une entente avec le ministère de la Santé et des Services sociaux afin d’adopter une nouvelle grille tarifaire. Cette grille prévoit une prime pour les médecins qui suivent plus de 500 patient·e·s, en réponse à la difficulté d’accès aux omnipraticien·ne·s que connaît actuellement la province, alors qu’environ le tiers de Québécois·e·s n’ont toujours pas de médecin de famille.

Les nouveaux médecins bénéficient de ladite prime pendant toute leur première année, après quoi, s’ils et elles n’ont pas réussi à inscrire 500 patient·e·s, chacun de leurs actes est rémunéré entre 10 % et 15 % moins cher. Cependant, durant cette première année de pratique, le temps n’arrête pas de filer lorsque l’on est en congé de maternité ou en invalidité temporaire prolongée.

Bien sûr, on pourrait tout à fait remettre en question l’importance de la rémunération des médecins (en particulier celle des médecins spécialistes), qui a augmenté de 78 % depuis 2007. Cependant, il n’est pas normal qu’un système donné puisse générer des différences de revenu selon si l’on est né, ou non, avec un utérus. Si l’on veut revoir l’enveloppe budgétaire allouée aux salaires des médecins, ce processus doit être exempt de discrimination basée sur la biologie sexuelle. En d’autres mots, il ne peut être sexiste. Comme le disait la Dre Évelyne Bourdua-Roy elle-même au sujet des femmes médecins : « On est en 2016, nous ne devrions pas avoir à choisir entre avoir un enfant et être rémunérées à la même hauteur que nos collègues masculins. »

La FMOQ et le ministère inactifs

La FMOQ n’a pas paru enchantée des récriminations de la docteure ni semblé être en accord, a priori, avec l’idée que la situation soit discriminatoire. En effet, le Dr Claude Rivard, président de la section régionale du Richelieu-Saint-Laurent, à laquelle appartient la Dre Bourdua-Roy, aurait écrit sur Twitter qu’« une bonification n’est PAS une baisse de salaire. Elle aura bonification lorsque + 500 pts. »

L’une des personnes qui a négocié pour la Fédération, le Dr Michel Desrosiers, aurait quant à lui répondu à l’omnipraticienne que si elle avait choisi de faire « autre chose » (c’est-à-dire avoir un enfant) pendant sa première année de pratique, c’était son choix. Il n’était pas possible de commencer à faire des exceptions pour tout un chacun, d’autant plus que cette situation n’était pas, selon son opinion personnelle, particulièrement sexiste puisque les hommes pouvaient eux aussi prendre un congé de paternité.

C’est cependant ignorer volontairement que la FMOQ n’offre pas de congé de paternité. Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), lui, ne prévoit qu’un maximum de cinq semaines, contre 18 semaines pour un congé de maternité. De plus, bien qu’il existe également un congé appelé « parental » qui est partageable entre les deux parents, seuls 32 % des pères le prennent, contre 88 % des mères.

Le ministre Gaétan Barrette a reconnu depuis qu’il fallait en effet « apporter les ajustements nécessaires » à ce système de boni au nom de l’égalité hommes-femmes. Il renvoie cependant la balle à la FMOQ, qui en fait de même avec lui. Selon le porte-parole de la Fédération, le Dr Barrette « doit accepter de se regarder dans le miroir. Son ministère a une vision extrêmement rigide quant aux exceptions. Toutes les ententes, incluant celle-ci, se négocient à deux. » Si bien que, depuis, rien n’a été fait. La Dre Bourdua-Roy compte déposer incessamment une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Le paiement à l’acte désavantageux pour les femmes

Si cette injustice finit par être corrigée, notons cependant que le système de rémunération à l’acte en lui-même désavantage les femmes. Les statistiques du ministère de la Santé et des Services sociaux montrent que les omnipraticiens hommes ont gagné 27 % de plus que les femmes en 2011-2012. Selon l’ex-présidente de Médecins québécois pour un régime public, Marie-Claude Goulet, si l’on observe cette différence, c’est parce que ce sont encore les femmes qui s’occupent aujourd’hui de la majorité des tâches ménagères, du soin des enfants et qui agissent comme proches aidantes. Étant donné cette double tâche (travail salarié et travail domestique), elles n’auraient pas le temps de poser autant d’actes médicaux que leurs collègues masculins dans une semaine. De plus, les femmes choisissent davantage que les hommes de pratiquer auprès de populations vulnérables. Elles prennent donc plus de temps pour chacun de leurs actes, axant leur pratique sur la qualité des soins prodigués plutôt que sur le débit.

Même si « on est en 2016 », donc, les femmes continuent de prendre sur elles la majeure partie du travail de soin dans la société québécoise, de celui des enfants à celui des personnes malades et vulnérables. Comment reconnaître ce travail à sa juste valeur, en médecine comme ailleurs? Et comment encourager, voire forcer, le partage de cette responsabilité avec la moitié masculine de la province? Voilà le type de discussion dont nous ne pourrons faire l’économie dans les prochaines années.

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